Qu’est-ce qu’il apprécie ce moment en tête à tête. Sans doute plus que ce qui est raisonnable, d’ailleurs. Un sourire s’élargit sur ses lèvres. Il l’aime toujours. Toujours beaucoup trop. Il aimerait qu’il en soit autrement, pourtant. Ce serait plus juste pour elle qui semble être passé à être chose. Peut-être avec le fameux voisin ? Les poils d’Ezra s’hérisse à cette pensée. Il ne vaut mieux pas songer à tout cela. Elle ne lui dirait pas de toute façon, même s’il osait poser la question. En quoi ça le regarde ? Il a déjà de la chance qu’elle accepte de passer un peu de temps avec lui, non ? Ses pensées s’entremêlent et il tente de se concentrer sur le moment présent. « Oui, te coupe pas surtout ! » lui recommande-t-il dans un élan d’affection. « Je vais préparer le saumon et la sauce. » Un hochement de tête et il profite pour attraper le poisson et les ustensiles dont il a besoin. Il ne faut que quelques secondes pour qu’il commence à se mettre au travail, se concentrant sur des gestes qu’il n’a plus l’habitude de faire depuis des mois. Heureusement, la cuisine, c’est comme le vélo, ça ne s’oublie pas, bien qu’il ait perdu en rapidité et en précision, il s’en rend bien compte.

« Oui ! J’y pense souvent. » avoue-t-il bientôt. « Mon psy dit que c’est peut-être un peu tôt dans mon processus de guérison que de m’engager dans un si gros projet pour l’instant. » continue-t-il avec une certaine réserve. « Mais il m’a tout de même invité à me renseigner de la faisabilité, etc pour que tout soit prêt le jour où j’ai vraiment envie de me lancer. » Il lève les yeux vers la brune. « Du coup, faut que je prenne rendez-vous avec la banque pour voir. » Ce qu’il veut dire par tout ça, c’est qu’il préfère y aller petit par petit pas. « Et puis, j’aimerais retrouver ma dextérité légendaire. J’ai l’impression d’avoir énormément perdu. » Il se met à rire, laissant par la même occasion voir le stress qui monte en lui.

Si on avait dit à Briséïs que la jeune femme se retrouverait aujourd’hui à cuisiner avec Ezra, elle n’en aurait pas cru pas un mot. Il faut dire que leur relation avait été loin d’être au beau fixe. Ils se disputaient plus qu’autre chose et Ezra était violent envers elle. Elle tenait quand même à lui, cela ne retirait pas l’affection qu’elle avait. Elle avait veillé à prendre de ses nouvelles et puis ils en étaient là à cuisiner ensemble. Est-ce qu’ils se verraient aussi souvent ? Rien n’était aussi sûr. « Je sais que je suis une quiche en cuisine mais pour ça je devrais y arriver. » Elle lui dit avec un sourire. Ce n’était pas le plus difficile. Si la jeune femme s’occupait du saumon alors là ce serait plus compliqué. Le poisson n’était pas le plus facile à préparer et Ezra avait fait cela plusieurs fois.

Elle s’occupe donc de couper tout en questionnant son ex. Elle fait attention à ne pas se couper tout en l’écoutant. « Oui je comprends, après c’est pas un énorme projet comme si c’était un restaurant même s’il y a des choses à prendre en compte. » Elle était plutôt réseaux sociaux et tout ça donc pour tout ce qui était création d’entreprise elle n’y connaissait pas grand-chose. « C’est une bonne idée au moins tu n’auras plus qu’à te lancer si c’est possible et sinon voir ce que tu pourrais faire pour rendre les choses réalisables. » De toute façon, il ne fallait pas se lancer dans un projet la tête baissée. « Puis bon j’ai un peu de visibilité sur les réseaux alors je pourrais toujours promouvoir un peu si besoin. » Ensuite le bouche à oreille et la possible clientèle qui le connaissait pouvait aider. « Moi je trouve que tu t’en sors toujours très bien. » Elle termine de couper de son côté et lui montre. « Est-ce que c’est bon comme ça ? Je peux te donner un coup de main ? »

Il aime toujours autant l’entendre rire, et même la regarder alors que cette fossette se creuse sur sa joue droite, toujours plus prononcé que sur la gauche allez savoir pourquoi. Pourquoi est-ce si difficile de se concentrer uniquement sur le présent ? Trop de regrets d’une vie passée qu’il a entièrement anéanti. Si seulement il s’était fait soigner plus tôt… s’il avait suivi les conseils d’aller voir un professionnel… s’il n’avait pas été si fermé à ces idées… L’envie de taper du poing sur la table lui effleure l’esprit mais il se retient, se contentant de serrer le manche du couteau qu’il tient en main d’une fermeté qu’il ne lui est plus venue depuis des semaines, voir des mois. Il se déteste tellement, parfois… Mais il ne faut rien laisser paraitre, il gérerait ces sentiments plus tard.

« Peut-être pas pour toi, mais pour moi, oui. » Il est un brin plus fermé, mais tente de se redétendre. « Enfin… Je veux dire qu’après les mois que je viens de vivre… » Il soupire. Il n’a pas envie de reparler de ça finalement, mais il tient à lui expliquer pourquoi pour lui, il s’agit d’un projet limite aussi insurmontable que d’ouvrir son propre restaurant. « Et puis, même si en terme financier, c’est moins exigeant, tu sais ce que c’est le monde de la cuisine : que ce soit en food truck ou en restaurant, tout se joue à la réputation du chef. » Si Gordon Ramsey se mettait à ouvrir une sandwicherie, il y a tout à parier que ça aurait un succès décuplé comparé à une autre sandwicherie ouverte par monsieur tout le monde. « Je n’en attends pas moins de toi. » lâche-t-il dans un sourire. Il ne lui aurait sans doute pas demandé, mais la connaissant, avec sa gentillesse légendaire…

L’envie de répliquer qu’elle lui dit ça parce qu’elle l’aime lui traverse l’esprit dans une seconde où il a presque oublié qu’ils ne sont plus ensemble. « Je suis persuadée que Troian n’en dirait pas autant. » Troian, son ancienne responsable, une grande cheffe pour qui il a toujours eu beaucoup d’admiration. Il n’a pas du tout osé la recontacter depuis, par culpabilité de les avoir lâchés du jour au lendemain, sans doute. « C’est parfait, merci ! Je te laisse couper les morceaux de pain et ensuite, mélanger les légumes avec la sauce ? » De son côté, il aurait terminé d’ici là et ainsi, ils n’auraient plus qu’à déguster après dressage final.

Briséïs n’y connaissait pas grand-chose dans le domaine de la cuisine. Elle ne s’occupait que de cuisiner pour elle et puis c’était tout. Elle ne s’y connaissait pas trop en création d’entreprises et tout ça et elle se doutait qu’Ezra savait mieux qu’elle. Il gérait sa propre affaire avant, son restaurant. Bon, il n’était peut-être pas un expert dans le domaine mais elle, elle était totalement larguée. Elle hoche la tête, elle avait peut-être parlée trop vite. « Oui bien sûr désolée je ne voulais pas te vexer. » Et si c’était le cas elle en était désolée. « C’est sûr oui ça demande de connaître des personnes je suppose, d’avoir un bon carnet et des clients qui viendront. Je suppose que tu as des collègues ou d’autres personnes qui voudraient bien t’aider. » Elle pourrait l’aider de son côté. Elle ferait ce qu’elle pourrait pour lui faire un peu de publicité avec les réseaux qu’elle a. Cela ne lui coûtait rien.

Elle secoue la tête en l’entendant parler de son ancienne responsable. « Peut-être que si tu la contactes elle comprendrait non ? Enfin, si tu lui expliques la situation. » Elle ne sait pas comment elle va réagir mais s’il n’essayait pas il n’en saurait rien après tout. Peut-être qu’il pourrait être surpris en réalité. Elle lui montre ce qu’elle a fait et visiblement, elle s’en sort bien. Elle ne disait pas qu’il l’embaucherait dans son restaurant mais voilà. « Ca me semble facile, je devrais m’en sortir aussi. » Elle s’attelle donc à la tâche et récupère un couteau pour le pain avant de couper. Elle s’occupe ensuite des légumes pendant plusieurs minutes. « Je crois que nous sommes bons du coup ? » Elle lui demande et regarde ce qu’il fait de son côté. « Je te laisse dresser je suppose ? » Elle n’avait pas envie de faire une catastrophe non plus et de tout gâcher. Ce serait idiot de ne plus rien avoir à déguster. « J’ai hâte qu’on goûte en tout cas. »

« Non, non ! Tu ne m’as pas vexé ! » s’empresse-t-il de la rassurer. Ce n’est clairement pas ce qu’il avait voulu laisser entendre. « Je cherchais juste à… je sais pas… t’expliquer mon point de vue. » Il se sent quelque peu démuni à l’idée de ne pas avoir su trouver les bonnes paroles. Peut-être que Briséïs allait se sentir mal à l’aise à cause de ce quiproquo, et c’était tout sauf le but. MERDE, EZRA ! Il détourne le regard, faisant mine d’être occupé dans ses préparations, mais en réalité juste une manière de cacher sa propre frustration. « Oui, sans doute. » Il n’en est pas si persuadé. Il l’avait, pourtant le bon carnet d’adresse, les collègues, les amis, la famille ; mais son monde s’est tellement écroulé dernière qu’il a l’impression de tout avoir perdu.

« Sans doute ! On s’entendait bien… Je le ferais dès que je serais un peu plus prêt. » confie-t-il alors. Est-ce qu’il repousse toutes les complications ? C’est bien possible, mais ce n’est pas comme si son psy lui avait dit de reprendre sa vie directement. Non, il avait légitimé le fait que les choses pourraient prendre du temps et que ce n’est pas grave. D’ailleurs, il ne devrait même pas avoir repris contact avec Briséïs à la base… Mais ça, il va bien sûr s’abstenir de lui mentionner.

Finalement, ils terminent de préparer et c’est avec un plus large sourire qu’Ezra opine de la tête en observant l’ensemble des préparations. Il n’y a pas à dire, en cuisine, il se sent toujours dans son élément, quand bien même il ait perdu une partie de ses repères. Il s’atèle au dressage, ne manquant pas de jeter quelques coups d’œil à la jeune femme au passage. Ses gestes sont un peu gauches mais on reconnait tout de même sa signature. Lorsqu’il a terminé, il avance le tout devant lui avant de lever les mains : « Tadam ! » Oui, il est fier, c’est vrai. « Promets-moi que si vraiment c’est pas bon, tu recraches pas tout ! » lui lance-t-il pour la plaisanterie. Il la laisse prendre un peu d’avance avant de mettre l’appareil à sa bouche.

Les gouts sont francs mais bientôt, une pointe d’acidité vient lui chatouiller un peu trop la gorge. « Je crois que j’ai un peu trop forcé sur le citron. » Il toussote rapidement, sans plus.

Briséïs ne voulait pas vexer Ezra et à vrai dire, elle ne savait pas toujours comment faire les choses. Comment dire aussi. Elle n’avait pas envie de faire une bêtise, dire un truc qu’il ne fallait pas. Elle savait qu’il ne se mettrait pas en colère ou du moins qu’il ne réagirait pas de la mauvaise manière. Elle l’espérait puisqu’il était sorti. Elle n’avait tout de même pas envie de dire une mauvaise chose. « Oui je comprends. » Elle lui dit avec un léger sourire. Peut-être qu’ils devraient changer de sujet. Ce serait sûrement mieux pour tout le monde. Pour le moment, Ezra n’avait rien prévu ou du moins le projet n’était pas encore lancé. De ce fait, elle attendrait qu’il lui en parle de nouveau s’il désirait se lancer dedans.

« Bien sûr oui, tu as le temps. Et fais le quand tu te sentiras prêt. » Il avait encore toute la vie devant lui et il était sorti de là-bas depuis peu seulement. Cela ne servait à rien de précipiter les choses. C’était encore plus stressant lorsqu’on ne se sentait pas prêt. Il n’avait pas besoin de complications, de stress ou de mauvaises choses dans sa vie. Ils terminent donc tous les deux de préparer ce plat et maintenant elle avait hâte de goûter. Elle laisse Ezra s’occuper du dressage parc qu’il sait mieux qu’elle faire ce genre de choses alors que Bri versait le tout dans une assiette et cela lui allait très bien pour le coup. « Attends je vais prendre une photo quand même. » Ils avaient travaillés tous les deux pour cela après tout donc elle sort son téléphone pour photographier l’assiette avant de prendre sa fourchette pour goûter le plat. Elle prend le temps de manger et apprécier les saveurs. Elle apprécie néanmoins ce qu’ils ont préparés. « Un peu pour le citron c’est vrai mais sinon c’est très frais et très bon. J’aime beaucoup. » Elle lance avant de reprendre une bouchée. « Tu vois, tu n’as pas tout perdu. »

Il est reconnaissant qu’elle n’insiste pas davantage. La frontière est fragile entre les discussions qu’il rêve d’avoir sur ses projets futurs et celles qu’il est capable de réellement avoir. La frustration se fait ressentir, bien sûr. Elle qui l’a connu sûr de lui, toujours prêt à aller de l’avant a aujourd’hui devant elle, un Ezra totalement différent. Si l’enveloppe charnelle est restée intacte, l’intérieur semble cassé, ayant besoin de temps pour être réparé. Il laisse Briséïs prendre la photo, se délectant de la voir s’activer comme elle le faisait quand ils étaient encore ensemble. « Tu veux pas en prendre une de nous avec le plat, aussi ? » demande-t-il. Cela leur ferait un souvenir de ce moment à deux et Ezra sait parfaitement que c’est le genre de photos à laquelle il pourra se raccrocher dans les mauvais moments. Ils s’affèrent avant de gouter. Oui, le goût est là bien qu’il y ait besoin de quelques améliorations. Ce n’est jamais parfait dès le premier coup, le cuisinier le sait ; mais ça plait à son ex-fiancée et ça, c’est déjà un gros succès. « Je suis vraiment content que ça te plaise. » Lui confie-t-il avec sincérité, laissant même échapper un léger sourire au compliment qu’elle lui fait. C’est ainsi que l’heure du nettoyage sonne, autour de quelques discussions assez lambda.