Le poing s’écrase contre le métal, accompagné d’un sinistre craquement. Il serre les dents, luttant pour ne pas hurler. Ses os lui font mal, mais ce n’est rien comparé à la douleur sourde qui empoisonne son organe vital. Une colère impuissante, une rage désespérée. C’est tout ce qui fait Thomas, à ce moment-là.
Il souffre de participer à cela. Ses rêves, ses convictions et sa culpabilité se bousculent pour ne former plus qu’un tout improbable. Illogique. Il se bat pour le salut de l’humanité. Mais, depuis quelques mois, il n’est plus certain que cette mascarade soit la solution. Il n’est plus certain que toutes ces futures morts censées mener au progrès le feront vraiment. Il a peur que ces sacrifices soient vains, que le W.I.C.K.E.D se trompe et ne parvienne jamais à découvrir ce fameux remède. Il a peur de voir tous ces sujets –qu’il peut, pour la plupart, considérer désormais comme des amis– périr pour une cause qu’ils ne comprennent sans doute pas.

Mais, plus que tout, il regrette ses attaches. Le premier garçon a disparu, le voilà seul au Bloc. Il ne s'agit plus que de quelques semaines avant que cela ne soit le tour d’A5. Bientôt, lui aussi sera là-bas, à la merci de tous les pièges tendus dans le seul but de les tester. Si certains doivent y succomber, qu’il en soit ainsi.
Et c’est ce qui le rend malade. On lui avait dit empathie. Et lui, il s’est laissé aller à la sympathie. Pire, il s’est lié, bien plus qu’il n’aurait pu l’imaginer avant tout ça. Combien de fois lui a-t-on répété qu’ils ne sont que des cobayes ; du bétail bientôt envoyé à l’abattoir. On a voulu qu’il les déshumanise, qu’il ne voit plus qu’en eux la victoire sur la maladie. Et si, au départ, cela a plutôt bien fonctionné, il n’est qu’un adolescent. Un jeune homme qui découvre la vie, les autres. Des interactions quotidiennes provoquent des réactions, des sentiments. Une subjectivité malvenue. Il n’a pas pu y faire grand-chose ; peut-être aurait-il pu, s’il avait remarqué dès le début qu’il s’était engagé sur une pente bien trop raide. Peut-être aurait-il pu s’éloigner quand il en était encore temps.
Maintenant, c’est trop tard. Il a sombré, et les afflictions de son cœur ne le lui rappellent que trop bien.

« Thomas ?
- Je suis occupé. »

La brunette qui lui sert de collègue comprend à l’expression et les traits tirés de son visage qu’il l’est effectivement. Elle le connaît par-cœur –si seulement– et n’insiste pas. Il la dépasse sans lui porter plus d’attention, cachant sa main meurtrie dans la poche de sa blouse. Il ne pense même pas au fait que, s’il saigne, celle-ci se teintera de rouge.
Bientôt, il a rejoint l’aile servant de lieu de vie aux sujets. Le réfectoire est presque désert à cette heure-ci, ce qui lui permet de se faufiler aisément jusqu’à la table occupée par le fameux garçon.

« J’aimerais te voir. »

Ce n’est ni un ordre, ni une simple affirmation. Simplement une habitude résultant d’un accord tacite. Si, à l’origine, il s’agissait d’une phrase toute faite signifiant que son tour était venu, pour la séance, elle est bien vite devenue le signe annonciateur d’une discussion totalement inutile à la science. Il ne l’a jamais dit clairement, mais le blondinet a bien dû comprendre, depuis un moment, que Thomas ne le considère plus comme un sujet. Sûrement plus comme un ami non plus, il ne ressent pas la même chose pour les autres. Clairement, c’est quelque-chose de tout-à-fait différent.

Encore agité par la nouvelle du commencement de l’expérimentation, il ne tient pas en place, tapant nerveusement du pied, sans quitter Newt du regard. Il lui faut lui parler, profiter du moindre moment en sa compagnie avant qu’il ne soit définitivement trop tard.
Et, bien évidemment, en s’empêchant fermement de lui dévoiler quoi que ce soit quant à sa destinée.  

Nouvelle journée. Pas d'avancée. T'es toujours là, et tu sais pas pourquoi. T'as aucune réponse, en ta possession. T'es là pour servir la science. C'est l'unique chose, l'unique réponse qu'on te fourni, à chaque fois. L'avancée de celle-ci, t'en sais rien. Et poser une quelconque question, c'est un pari risqué. Tu sais jamais ce qui va te tomber dessus, en contre parti. Et encore. La grande majeur partie du temps, t'as l'impression de t'adresser à un mur. Aussi froid qu'la glace. Tu doutes que ces hommes - parce que oui, y'a quelques femmes, mais ça reste rare - aient un cœur. De pierre, peut-être. Y'a qu'lui. Celui qui s'approche de toi, à l'heure actuelle. A peu près ton âge. Peut-être un peu plus, mais guère. C'est avec lui, qu'tu discutes toujours. C'est par lui que passe ce peu d'information que t'arrive à avoir. C'est le seul, qui accepte de parler avec toi. L'unique que tu puisses considérer comme ton ami, dans l'camp adverse.

Alors qu'il s'approche de toi, t'as une mauvaise impression. C'est pas pareille. Pas comme d'habitude. Il ne semble pas aussi détendu. Comme si quelque chose n'allait pas tarder à vous tomber dessus. Et qu'il ne pouvait pas empêcher cela. Une boule se forme dans ton estomac. T'es pas à l'aise. Mauvais pressentiments. Très mauvais. Mais. Depuis quelques jours, t'as plus de nouvelles de l'un d'vous. Du jour au lendemain, tu ne l'as plus vu venir manger. Plus aucun signe de vie. Et tu dois essayer de savoir ce qu'il se passe. Et si tu peux tirer des réponses à quelqu'un, c'est à lui. T'avales ta salive. Son ton n'est ni sec, ni froid. Mais pas enjoué non plus. Ca pue pour toi. T'adresses un regard à tes camarades. Rien à Thomas. Tu préfères attendre d'être tranquille avec lui, pour ouvrir la bouche. Tu t'lèves, sans rien dire de plus à tes camarades, et t'empresse de l'suivre. Plus vite tu seras loin, plus vite tu pourras lui poser de véritables questions.« Où allons-nous, cette fois ? » Une simple question, pour savoir ce qui t'attend dans les prochaines minutes. S'il faut que tu reste sur tes gardes. Ou si tu peux parler en toute liberté. Des questions, t'en manques pas. Tu trottines presque pour le suivre hors de la pièce. C'est qu'il semble être pressé.

« Pourquoi manque-t-il l'un d'entre nous ? » T'es direct. T'as pas envie de perdre ton temps avec une discussion qui ne t'intéresserait pas. T'as toujours été assez proche de Thomas. T'as toujours apprécié de passer du temps seul avec lui. Vos discussions sont toujours divertissantes. Mais cette fois, tu veux des réponses. « Est-ce que c'est ce qui va m'arriver ? Ce qui va nous arriver à tous ? » Tu lui lances un regard de biais. T'accepteras pas qu'il se dérobe cette fois-ci. Si ta fin est proche, tu mérites au moins d'avoir la vérité. Est-ce que cette histoire de projet scientifique pour sauver l'humanité n'était qu'une vaste blague ? T'aimerais que Thomas te rassure. T'aimerais qu'il t'assure que ça va aller. Que tu vas t'en sortir. Que vous allez vous en sortir. Mais tu vois, dans son regard, que c'est pas ce qu'il compte te dire. Tu t'arrêtes. T'es plus sûr d'avoir envie de le suivre. « Qu'est-ce qui se passe réellement ici, Thomas ? » Quelque chose de mauvais. T'en es sûr, à présent. Mais tu sais pas jusqu'où, c'est censé aller.