Donna était visiblement troublée par l’annonce de notre fille. Difficile de faire autrement. Elle venait de lâcher l’équivalent d’une bombe nucléaire sur sa pauvre mère. Juliette savait à quel point Donna détestait le changement et voilà qu’en plus de nous forcer à assister à ce souper qui était une véritable farce. Et le clou du spectacle était bien évidemment notre pauvre gendre. Une maison en Sicile ? Et voilà qu’elle montrait des photos à sa mère sans même réaliser que sa génitrice était dans un état second. La main de Donna serrait la mienne et sa peau avait blanchi sous le choc de la nouvelle. À contrecœur, je joignais les autres en levant mon verre à l’honneur du couple. Le champagne laissait un goût amer sur ma longue et je plongeais dans mon assiette pour éviter d’avoir à continuer la conversation. Donna ne lâchait pas ma main. Vint enfin le temps du dessert et l’on avait droit au tiramisu. Mon ex-femme ne supportant plus le silence étouffant qui avait enveloppé la pièce s’était levée et s’était excusée, me laissant derrière. Juliette m’avait lancé un regard interrogateur tandis que Gina quittait à son tour. Visiblement, tout le monde quittait le navire en laissant le pauvre Bob face aux lions. J’avais éclairci ma gorge :

⁃Le voyage a été long, ma chérie nous ne sommes plus aussi en forme qu’il y vingt-ans.

Elle semblait accepter mon excuse, l’amour la rendait aveugle. Le père de Juliano me lançait un regard suspicieux. Évidemment pour eux, le fait que Juliette décide de s’installer en Italie était une bonne nouvelle puisqu’il pourrait continuer à voir régulièrement leur fils. Or, pour nous cela signifiait que nous verrions Juliette une fois l’an et encore. Gina était revenue à la table tandis que je planifiais ma sortie, elle posait sa main sur mon bras en me faisant un regard appuyé. Donna voulait discuter. Gina qui avait toujours été la plus futée de la famille se mit alors à raconter avec de grands gestes la naissance de Juliette. Profitant de la distraction j’étais sorti en douce. L’air humide de la soirée n’avait rien de réconfortant or tout était mieux que l’ambiance suffocante qui régnait dans la salle à manger. Je trouvais mon ex-femme assise sur un banc cigarette au bec. Je vins la rejoindre en silence, savourant pendant un instant ce moment de répit. Puis je me tournais vers elle :

⁃ Il faut rendre à César ce qui appartient à César : notre fille, a le sens du spectacle. Elle doit tenir ça de sa tante.

Un peu d’humour pour alléger la situation. Je cherchais quoi dire, mais les mots m’échappaient. Il faut dire que j’étais moi-même encore sous le choc. Mais Juliette était une adulte et nous ne pouvions pas l’empêcher de faire ses choix. Peut-être que Juliano était un bon garçon et que nous l’avions jugé un peu trop rapidement ? Nous avions un mois pour sa connaissance autant en profiter.       

Ma petite fille, notre petite fille. Ce petit bout d’entrain qui avait illuminé notre demeure de son rire clair, de ses histoires enfantines. Adolescente c’était ses histoires de crush, de petits copains jusqu’à ce Brandon qu’elle a aimé à la folie. En fait, ils s’aimaient profondément tous les deux et ils étaient magnifiques à voir. Même moi j’avais cru à une fin de copte de fée. Ma petite fille avait eue le cœur brisé, elle avait pleurée toutes les larmes de son petit corps et s'était désintéressée de tout, même de la mode qui était sa passion. Son départ pour l’Italie était pour moi, et pour Bob aussi j’en étais certaine, qu’un intermède dans le temps avant qu’elle revienne au bercail. Je n’étais pas fière de toute ma vie, mais de toutes les réussites qu’on a pu avoir Bob et moi, Juliette en était une. Elle était belle, intelligente, passionnée, lumineuse et rien de semblait ébranler ses convictions et ses passions. C’était un très beau mélange de nous deux et j’étais très fière de la jeune femme qu’elle était.

Cependant, d’apprendre que mon bébé, notre bébé, désirait rester ici en Italie me choqua et me rendait complètement muette. Je n’étais pas la seule qui était sous le choc, Bob aussi. Preuve en est sa main sur ma cuisse. On ne se touchait plus vraiment depuis longtemps, donc pour qu’il fasse un geste aussi naturel que celui-ci, c’est qu’il était en état de choc comme moi. Il avait toujours été proche de sa fille, il l’adorait comme un père adore sa fille. Donc je comprenais son état. Combien de fois allons nous, nous voir? Si elle avait des enfants, nous ne les verrions pas grandir! Nous serions des étrangers pour eux. J’étouffais alors que je me forçais à finir mon dessert qui tombait dans mon estomac noué. Je n’en pouvais plus, j’étais au bord de la rupture. Je me levais donc avec l’excuse bien pourrie que j’allais prendre l’air quelques minutes.

Tirant de grandes bouffées sur ma cigarette, je demandais à Gina d’aller me chercher Bob. Lui seul pourrait arriver à me pas me faire péter les plombs. Ce qui était vachement ironique vu que c’était lui la source de mes pétages de plomb. J’attendis le plus calmement que mes pauvre nerfs de vieille bonne femme pouvait supporter. Il arriva donc et s'assied lentement et silencieusement. Comment il faisait pour rester calme alors que je n’avais qu’une envie: hurler. Il me semble que pousser une grande gueulante me ferait le plus grand bien… mais moins pour ma fille. Donc la raison pour laquelle je me retenais. Il dit une phrase, une seule qui me fit sourire doucement.

- La pomme ne tombe jamais loin de l’arbre à ce qu’on dit.

Dis-je en écrasant la cigarette du bout de ma chaussure. Je relevais la tête en soupirant longuement, je croisai ma jambe et posais mes mains dessus. Le silence quelque part faisait du bien. En tout cas ça nous donnait des vacances des inepties de celui qui nous servait de gendre.

- Comment tu fais pour rester aussi calme devant ce… Juliano?

Je tournais mon regard vers lui. En fait il avait toujours été un homme calme, bougon oui. Râleur effectivement mais en général calme. C’était peut-être une des choses qui m’avaient attiré chez-lui.

- J’essaie de comprendre comment elle a pu passer de Brandon qui était aussi brillant à Juliano le vendeur d’aspirateur. dis-je en pensant tout haut. Tu y crois toi qu’elle a acheté un aspirateur? Il doit dormir quelque part dans un placard…

Dis-je en faisant un petit rire sarcastique. Comme si notre fille avait besoin d’un aspirateur!

- Et son explication de DJBABY… dis-je en pouffant de rire. C’est d’un ridicule!

Je riais doucement, je n’en revenais pas encore. Je riais probablement dû à la fatigue aussi mais seigneur que ça faisait du bien! Je me calmais un peu pour être capable de parler et essuyant le coin de mes yeux.

- Si on se fit à ce qu’il dit… dis-je en riant, il sera nourrisson à vie… terminais en manquant m’étouffer de rire.

C’était les nerfs! Voilà! Les nerfs me lâchaient!

Le paysage pittoresque de la campagne italienne avait quelque chose d’apaisant. Je me demandais si Donna pouvait arriver à apprécier la situation dans laquelle nous étions. Cela faisait un bail que nous ne nous étions pas adressé la parole et le fait que nous nous n’étions pas encore querellés relevait de l’impossible. De biais, je regardais mon ex-femme porter la cigarette entre ses lèvres minces.

⁃Tu sais que cette merde ne te fera pas mourir plus vite ?

Un silence nous avait enveloppé un silence qui contenait bien des sous-entendus. Le poids de ce que nous avions été, le fantôme d’une relation, mais surtout d’une rupture qui avait été bien sanglante et qui m’avait fait vieillir de plusieurs années. Heureusement, Juliette était majeure et vaccinée le divorce ne l’avait pas trop ébranlé et comme c’était Donna qui avait pris la décision, elle y avait réfléchi en long et en large bien avant de déposer les papiers sur la table du salon. Mais moi… Moi je m’en étais pris plein la gueule. Je ne m’y attendais pas du tout. Comment n’avais-je jamais réalisé à quel point je rendais ma femme malheureuse après plus de 20 ans de vie commune ? La vérité c’était qu’un mariage était bien plus qu’une cérémonie et une bouteille de champagne. Se marier, c’était se promettre d’être fidèle, de faire des efforts, de s’aimer dans la tourmente comme dans les jours de fleuve tranquilles. Je pensais comprendre ce que cela voulait dire jusqu’au jour où j’ai dû céder la moitié de mes acquis à mon ex-femme. Je n’étais pas certain que ma fille comprenait l’ampleur de ce qui l’attendait. Le mégot de Donna était venu s’écraser sur le sol et je plissais le nez de dégoût face à l’odeur de nicotine qui vint me chatouiller les narines. D’une voix incrédule, elle me demandait comment je faisais pour garder mon calme face à un benêt comme Juliano. Je soupirais un moment avant de m’asseoir sur le muret en pierre qui bordait les plates-bandes.

⁃Le garçon est un crétin, je te l’accorde. Mais je me dis qu’il y a bien quelque chose en lui qui a retenu l’attention de notre fille, ce n’est pas possible…

Elle s’était tournée vers moi en continuant sa tirade sur notre futur beau-fils. Il était vrai que Brandon l’ancien petit-copain de Juliette était un jeune homme avec un avenir brillant qui avait fait des études dans une très grande université. Mais le type avait des problèmes d’argent et c’était ce qui avait mis Juliette à bout. Jeune femme, très intelligent notre fille n’en demeurait pas moins une rêveuse et de surcroît une romantique. Peut-être que l’amour l’eut rendu aveugle au point de ne pas voir tous les défauts de ce Juliano.

⁃Pour être franc, je n’achète pas cette histoire d’aspirateur… Il y a quelque chose qu’elle ne nous dit pas.

Je me fiais principalement aux parents du marié, qui agissait de manière bien étrange et qui visiblement ne nous portait pas dans leur cœur. Il n’y avait pas de raisons pour être hostile, un mariage était synonyme de joie et de tendresse. Je m’expliquais mal leur comportement. Puis pour en revenir au sobriquet ridicule que le jeune homme nous avait dévoilé plus tôt :

⁃Je suis convaincu qu’il est tombé sur la tête une ou deux fois de trop, ce n’est pas possible d’être aussi con… c’est l’alcool ou les autres substances… Bordel…

Je soupirais, un peu dégoûté. Nous n’étions que deux parents impuissants devant les choix peu éclairés de leur enfant.    

Je sais que cette vilaine habitude puait au nez de Robert et même Juliette mais c’était plus fort que moi. Quand j’étais à deux doigts de péter les plombs je devais aller en griller une pour éviter de déverser mon fiel et présentement ce n’était pas le moment et surtout pas l’endroit. Le paysage était magnifique, les odeurs tellement différentes des États-Unis et le dépaysement parfait. Tirant une dernière bouffée sur ma cigarette je relevais un regard vers Bob quand il me dit que cette merde ne me ferais pas mourir plus vite. Si lui n’était pas venu a bout de me tuer d’ennui c’est certainement pas cette clope qui y arriverait.

- Non mais ça évite que je pète les plombs.


Je voulais que ma fille comprenne que le mariage était du travail, de la communication. BEAUCOUP de communication et surtout de bâtir un avenir ensemble et s’entendre comment le bâtir. J’avais tenté bien des chose avec notre divorce mais peut-être avais-je été trop subtile, trop… Non des fois j’avais été pire qu’une vipère, chose que Bob ne méritait aucunement. Enfin… si parfois, surtout quand il rechignait comme un gamin pour une sortie. Je reléguais tout ça au fond de ma mémoire m’accrochant au calme de Robert pour tenter de me calmer moi-même. Il était le calme fait homme et pour être tout à fait honnête, c’est ce qui me manquait dans ma vie en ce moment. Quelqu’un de calme qui savait m’aider quand j’étais a deux doigts de me péter une crise de panique. Est-ce que je lui dirais? JAMAIS DE LA VIE!! Plutôt mourir que de le voir se bomber le torse comme un paon. Ça reste entre vous et moi. Mon regard se leva vers le sien mais ce qu’il dit ensuite me fit hausser un sourcil suspicieux. Vraiment? Il y avait quelque chose qui avait retenu l’attention de notre fille? Son gros machin? Parce qu’à part ça je ne vois pas DU TOUT ce qui aurait pu attirer l’attention de Juju sur cet énergumène.

- Tu es sérieux là?

Oui ma fille était comme toute les jeunes femmes de son âge. Idéaliste, rêveuse, romantique. Je la comprend de vouloir tomber sur son prince charmant, j’ai été comme elle a son âge. Dieu que j’ai rêvé de cet homme parfait et je l’ai eu! Je ne peux pas mentir quand même. Bob avait été un mari aimant, attentionné et un père présent et dévoué. Peut-être cherchait-elle le même modèle que son père? Si oui… Je vais devoir avoir une conversation avec elle parce que clairement son père n’a jamais été ce genre de clown. Je soupirais longuement car j’étais comme lui, je trouvais cette histoire d’aspirateur complètement débile.

- Je dois t’avouer, que j’ai du mal à croire à cette histoire mais… pourquoi pas? dis-je à moitié convaincue, Après tout notre propre rencontre a été simple… je veux dire pas ce genre de truc qu’on voit dans les films.

En fait il n’a pas eu à faire grand chose, je l’avais vu à quelques reprise et il lui aura fallu d’un sourire, son regard pétillant et une invitation à danser pour que je succombe et que j’oublie le monde autour. HÉ OH! Secoue-toi ma vieille!! On se reprends! C’est ce moment que les nerfs me lâcha et que je ris doucement en m’essuyant le coin des yeux et mon rire monta légèrement en l’entendant me répliquer qu’il avait sûrement été bercé trop proche du mur.

- Je dirais un mixte de tout ça… Oh mon dieu…

Je poussai un soupir pour me reprendre un petit sourire sur les lèvres. Et il avait réussi une fois de plus que je ne tombe pas dans un état de panique. C’était presque rageant a la fin!

- On devrait retourner, Juliette va s’inquiéter.

Je me levai et remontai l’allée au même rythme que Bob mon regard se levant vers la villa.

- Il faut raisonner Juliette, Bob. On ne peut pas laisser notre bébé ici avec ce débile. dis-je en tournant mon regard vers lui, on a un mois pour la raisonner. Je ne sais pas pourquoi mais je ne le sens pas ce petit con. Il y a quelque chose qui me dérange.