Tu regardes par la fenêtre de ta caisse. Tu te demandes si c'est réellement une bonne idée d'attendre là-dedans, mais maintenant que tu y es, tu ne vas pas reculer. C'est pas le genre de choses auxquelles tu réfléchis. Tu affronteras les conséquences de tes actes plus tard. Le plus important, c'est ce que tu t'apprêtes à voir. S'il rentre seul, ou accompagné. S'il rentre tout court. Le temps est long. Tes doigts pianotent contre la surface glacée du volant. Tu enfonces ta tête dans tes épaules, tout en ne lâchant pas l'entrée des yeux. Tu ne veux pas être affalé dans le canapé quand il passera la porte. Tu veux le prendre sur le fait. Tu veux le confronter. Tu veux lui demander pourquoi il agit de la sorte. Justin n'est qu'un abruti. Il te court après, pendant des semaines, pour te tromper l'instant d'après. Petit con.

Ta petite vie bien rangé a bien changé depuis que tu as croisé la route de Brian Kinney. T'as l'impression que ça fait déjà toute une vie qui s'est écoulé, entre le moment où vous vous êtes croisés dans cette boîte et maintenant. Une éternité. Beaucoup de choses ont changé. Plus rien ne t'empêche de faire ce que tu veux maintenant. Enfin, ce n'est pas tout à fait vrai. Brian est un frein à lui tout seul. Trop préoccupé à vouloir garder sa liberté, il ne se rend pas compte qu'il te pousse doucement hors de sa vie. T'es pas vraiment du genre à enchaîner les aventures. Peut-être un peu trop fleur bleue, ça toujours été lui que tu voulais. Tu ne t'en es jamais vraiment caché, mais tu as dû faire des concessions pour ne pas le perdre. Oubliant peu à peu ce que tu voulais vraiment, toi, t'oubliant un peu pour le garder.

Puis, tu as rencontré quelqu'un prêt à s'offrir totalement à toi et maintenant, c'est toi qui fait le con. Celui qui ne veut pas s'attacher. Certainement parce que tu l'es déjà. Il est mignon le musicien, il est doux et c'est un artiste, comme toi. Pourtant, ça ne t'empêche pas de rentrer chez Brian, chez toi, après avoir passé du temps avec lui. Comme aujourd'hui, après ton cours.

Tu rentres, te demandant si lui sera rentré. Pour finalement découvrir un loft vide. Bien sûr. Tu laisses tomber ton sac dans l'entrée, avant de filer dans la salle de bain, t'as besoin d'une douche, de laisser tout ça derrière toi.

Une tête blonde se faufile à travers le passants. Pour une fois, tu le vois franchir le seuil de la porte d’entrée avant que le soleil ne se soit couché. Une première. La semaine passée, c’est à peine si vous vous êtes croisés. Deux fantômes vivant dans le même appartement. C’est ridicule. Tu fulmines à l’intérieur. T’en as marre de ces jeux à la con. Alors, tu sors de ta bagnole, prenant bien soin de claquer la portière le plus bruyamment possible. Était-il encore avec ce musicien de pacotille ? Tu jettes un coup d’œil à ta montre. Ses cours sont finis depuis un baille.

Ta clé tourne enfin dans la serrure. Tes yeux se posent sur son sac jeté dans l’entrée, ce même sac que tu pousses toujours dans le placard. Chaque soir. Pas cette fois. Tu jettes tes clés dans le vide-poche sur le meuble longeant le mur et fouilles le loft à la recherche du gamin. « T’étais où ? » que tu grognes en le découvrant nu dans le salle-de-bain, sur le point de rentrer dans la douche. « J’croyais que tes cours étaient finis. » Tu te rapproches de lui, visage fermé, bras croisés sur le torse.

Personne.

Pourquoi est-ce qu'il en serait autrement ? Tu ne te souviens plus exactement de quand est-ce que tu as été accueilli par Brian la dernière fois. En général, soit il dort quand tu rentres, soit il se contente d'être absent. La passion s'est transformé en colocation. Ni plus, ni moins. Parfois, tu te dis que tu ferais mieux de partir. C'est chez lui, après tout. Pourtant, tu restes. Tu n'arrives pas à tirer un trait définitif sur tout ça. Sur lui. Alors le cache-cache continue.

Pas besoin de jouer pour le moment. Il n'est pas là. Tes vêtements valsent rapidement sur le sol, avant que tu n'ouvres l'eau. Seulement, tu n'as pas le temps de te glisser dessous. Il est là. Tu ne l'as pas entendu rentrer. Trop occupé à ressasser toute cette situation pour faire attention au monde qui t'entoure. En tenue d'Adam devant lui. Ça aurait pu te gêner, vu le manque d'intimité flagrante qui s'est installée entre vous, mais tu préfères ne pas y prêter attention. Ce n'est pas la première fois de toute façon. « Mon emploi du temps t'intéresse, maintenant ? » c'est toujours mieux que l'indifférence qu'il te sert depuis quelques jours, non ? « Tu m'espionnes pour savoir que je n'étais pas ici ? »

Tu l’observes. De haut en bas. Ce n’est pas le première fois que tu le regardes, pourtant, tu as l’impression d’avoir le corps d’un inconnu sous les yeux. Il n’est plus celui que tu as connu. Il ne ressemble plus au petit blond que t’as dépucelé et qui s’accrochait à ta veste comme un désespéré. Il a changé. Il est devenu un adulte. Il est devenu ce que tu ne parviens à être qu’à moitié. Tu ancres ton regard dans le sien. Cet amant devenu un simple colocataire. Il te suffirait de le mettre à la porte, de mettre ses affaires sur le palier et un mot dessus lui expliquant qu’il n’a plus sa place chez toi. Mais tu ne parviens pas à t’y résoudre.

« T’as pas répondu. » lâches-tu. « T’étais où ? » tu demandes en haussant le ton. Tu ne supportes pas quand il joue avec tes nerfs. C’est exactement ce qu’il est en train de faire. Tu t’adosses contre le mur le plus proche et continue ton inspection. Tu peux sentir sa sueur de là. C’est immonde. « Tu pues. » Chacun de tes mots ressemblent plus à un grognement qu’à autre chose. T’en as assez de jouer au chat et à la souris. T’en assez qu’il montre son cul à un autre. Il est avec toi. Il l’était, en tout cas.

Il est encore d'une humeur massacrante. La soirée promet d'être longue. Depuis quand c'est devenu si compliqué entre vous ? Au début, c'était tellement simple. Une pure évidence. Maintenant, t'as l'impression de devoir ramer à chaque seconde passée en sa compagnie. Il veut savoir où tu étais. Qu'est-ce que ça peut bien lui faire ? « Je révisais » techniquement, ce n'est pas un mensonge. Ça avait commencé par des révisions. Tu n'as pas besoin de lui expliquer en détails comment s'était passé la suite.

Tu fronces le nez, quand il te dit que tu pues. Toujours le mot pour faire plaisir, celui-là. Il a un sens inné du compliment. Tu soupires et passes une main dans ta nuque. « Je te signale que j'allais prendre une douche, c'est toi qui m'en empêche avec ton interrogatoire ? » parce que ses questions ne pouvaient pas attendre cinq minutes.

Il a encore décidé d’être une sacrée tête de nœuds. Tu n’arrives plus à être à ses côtés sans ressentir une immense vague de haine et de colère. Autrefois, tu ne ressentais que tendresse. Ou était-elle donc passée ? Un soupir franchit tes lèvres et vient s’écraser contre le miroir en face de toi. « Va te faire foutre. » Un rire amer résonne entre les dalles de carrelages. « Quoique. C’est déjà fait, non ? » Sur ces douces paroles, tu quittes la salle d’eau et te défais de ta veste que tu balances contre le canapé. Le reste de tes fringues ne tarde pas à suivre. Porter le costard ne te va pas. Dès que tu peux t’en débarrasser, tu le fais aussitôt. Ce soir ne fait pas exception. Qu’il soit là ou non.

Tu ouvres la porte du frigo et te sors une bière. Décapsulée, tu en bois une longue rasade avant d’allumer la cigarette qui pend au coin de tes lèvres. Tu retournes dans la salle-de-bain après quelques minutes de répit que tu t’es octroyé. « Il a pas de douche chez lui ? Dégage, c’est mon tour. »

Voilà ce qu'est devenu ta vie. Tu froisses les draps d'un autre, avant d'atterrir ici et te prendre le mépris du plus vieux en pleine face. Un vrai plaisir. Tu dois être un peu maso au fond. Va te faire foutre. Ouais, bien sûr. Des mots doux, encore et toujours. Il te demande si c'est déjà fait. « Faut bien que quelqu'un assure, là où tu ne peux plus » que tu lâches, entre tes dents. C'est lui qui a commencé après tout.

Il quitte la pièce et tu n'attends pas bien plus longtemps avant de te glisser sous l'eau chaude qui t'attend depuis ton retour. Tu fermes les yeux. Tu prends le temps de souffler. On ne dirait pas comme ça, mais les petites confrontations t'affectent toujours. Le répit n'est que de courte durée. Brian revient à la charge. Quel con. « Tu veux que je te dise que t'en as une plus grande ? » que tu rétorques quand il te demande si Ethan n'a pas de douche chez lui. C'est vrai que tu pourrais te doucher là-bas, mais tu ne le fais pas. Tu n'as pas l'intention de lui céder la place si facilement. Pendant longtemps, tu l'as laissé avoir trop d'emprise sur toi. Tu te serais barré au moindre regard de travers. Pas aujourd'hui. « C'est quoi ton problème, ce soir? » les mots passent tes lèvres, c'est qu'il est con en temps normal, mais ce soir, il remporte la palme.

Les flammes et la passion se sont éteintes aussi rapidement qu’une bougie sur laquelle on souffle ardemment. Ton quotidien s’en est retrouvé chamboulé. C’est le moins que l’on puisse dire. « C’est qu’elle mordrait, la boule de poils. » Tu ne peux t’empêcher de te montrer amer, dur, à son égard. On n’a que ce que l’on mérite, pas vrai ?

Tu reviens lui cracher la fumée de ta cigarette à la figure, avant de faire tomber les cendres de cette dernière à ses pieds. « Tu n’as aucun besoin de le dire. » Tu le sais. Personne ne s’est jamais plaint de la taille de ton sexe, c’est même tout le contraire. L’important, c’est de savoir s’en servir correctement. Tu n’attends pas une seconde de plus pour lui lâcher une nouvelle bouffée de tabac. S’il ne tient pas à te laisser la place, tu n’attends pas sa permission pour le rejoindre sous le jet d’eau. Tu écrases ton mégot dans le porte-savon et laisses la cascade mouiller la moindre parcelle de ta peau, laissant un silence s’installer. Silence qui ne dure pas. « Toi. » Il est ton seul et unique problème. Il est la cause de ton agacement, de ta colère. De ta tristesse. Ne parvient-il pas à le voir ?