Je maudis ce foutu sourire. Cette grimace grotesque que mon visage arbore dès lors que mon cœur se brise. Je le déteste pour tout ce qu'il représente… Ce masque insipide qui tient tout le monde à distance en me gardant caché derrière. C'est une prison que je me suis façonnée moi-même à force de tristesse et de déception. Et je me déteste de le laisser prendre place aussi facilement sur mon visage… Je n'ai pas envie de sourire, je veux hurler !

– Nous sommes des artistes, mais je n'ai pas pour autant envie de nier qu'il y a quelque chose.

Je ne nie rien, au contraire, j'affirme. Je sais ce que je ressens pour lui, je ne l'ai jamais caché. J'ai beau sourire, mon regard doit tout de même exprimer tous ces sentiments que j'ai pour lui, non ? Ne le voit-il pas ?

– Tu ne souhaites pas continuer. Je comprends et je respecte ta décision.

Il ne s'agit pas d'un souhait ou de l'expression d'une volonté. Je ne veux pas le voir partir, mais je ne veux pas non plus être celle qui attend en se languissant de l'homme qui n'aura jamais de temps pour elle. Parce que c'est ce que je serai, j'en ai parfaitement conscience.

– J'étais prêt à me battre, à tout faire pour que ça fonctionne.

Je le sais… Je l'ai pressenti et je n'en ai même jamais douté. Mais je sais aussi qu'il finira par perdre… Sa volonté a des limites, je les ai déjà vues… Son manager a une réelle emprise sur lui et il n'est pas encore prêt à s'en affranchir. Comment pourrait-il se battre pour que notre relation fonctionne si cet homme a le pouvoir de régir toute son existence ? Non, nous n'avons pas la moindre chance.

On se ressemble, lui et moi… Probablement même plus qu'il ne l'imagine… Je suis simplement mon propre Jake… En tout cas, c'est une partie de moi.

–J'avais espoir que pour une fois…

Je ne saurais pas la suite… C'est peut-être mieux ainsi. Imaginer autre chose, une autre issue m'apporterait peut-être une grande joie pendant quelques minutes… Mais la chute serait forcément plus douloureuse encore.

La main qu'il pose sur ma joue… C'est une véritable torture, mon cœur se serre un peu plus, ma gorge aussi. J'ai l'impression que l'on m'arrache quelque chose de précieux… Quelque chose d'essentiel…Et bon sang, ça fait mal.

– Je crois... Je crois que je vais retourner à l'auberge. Je suis désolé, mais je ne peux pas rester ici.
– Je comprends… ma gorge se serre, les mots restent coincés à l'intérieur.

J'aimerai pouvoir le retenir…Je ne veux pas qu'il parte… Pas maintenant, pas comme ça… Mais je n'y arrive pas. Comme une idiote méprisable, je reste immobile tandis qu'il s'éloigne. Il marche si vite que je comprends qu'il cherche à me fuir.

– Tu as été le soleil de mes journées, Emily. J'espérais... J'espère que tu trouveras un jour l'homme qui te donnera à nouveau envie de rêver.

Trouver l'homme qui me donnera envie de rêve ?

Comment peut-il me dire ça ? C'est tellement injuste que ça me met en colère… Je le laisse sortir, mais le retrouve très vite, là dehors, dans le froid.

– Tu disais que tu voulais te battre et pourtant tu renonces si vite, si facilement… Et tu as le culot de me souhaiter de trouver quelqu'un d'autre ? je gronde, à bout de souffle.

Mon cœur est si compressé qu'il me fait mal.

– C'était quoi tout ça ? Des mensonges ? Juste des mots…Des paroles pour une future mauvaise chanson ? Je t'ai pourtant dit que je ne voulais pas de fausses promesses…

L'avantage, c'est que mon sourire a totalement disparu cette fois. Quelle idiote j'ai été de me laisser aller comme ça. Je n'aurais jamais dû le laisser m'atteindre aussi facilement… Je n'en serais pas tombée amoureuse… Je ne souffrirai pas autant et nous n'aurions pas cette discussion étrange et totalement décousue.

Je suis devant lui à présent. À croire que la colère donne des ailes, je ne me souviens même pas avoir marché jusqu'à lui… Pas plus que je ne me rappelle avoir saisi sa main et, pourtant, elle est dans la mienne.

– Je ne t'ai pas rejeté, Tom. C'est toi qui prends la fuite alors que tu aurais dû me rassurer… Me prouver que je me trompais sur toute la ligne… Je peine à déglutir, je tremble de colère et de froid, mais finalement, je réalise… En fait non, c'est précisément ce que tu as fait, je lâche doucement sa main et fais un pas en arrière. Je pensais que nous ressentions la même chose, mais … Tu m'as prouvé que non.

Cette fois, mon sourire est triste… Je me sens tellement bête. Je suis bien pire qu'une adolescente en plein émoi. Je suis une belle idiote.

Je ne m'attendais pas à ce qu'elle me suive. Et encore moins à ce qu'elle m'interpelle ainsi.
Et pourtant, elle est là, sans ce sourire qui m'avait tant blessé.

Elle a l'air encore plus frêle, là dans l'obscurité. J'arrive tout juste à distinguer les traits de son visage grâce à la lumière qui vient de la porte encore ouverte de la grange.

Je frissonne. Et cette fois, cela n'a plus rien à voir avec le froid mordant.

"– Tu disais que tu voulais te battre et pourtant tu renonces si vite, si facilement… Et tu as le culot de me souhaiter de trouver quelqu'un d'autre ?"

"- Emily..."

Mais elle ne me laisse pas continuer, et reprend d'un ton toujours aussi énervé.

"– C'était quoi tout ça ? Des mensonges ? Juste des mots…Des paroles pour une future mauvaise chanson ? Je t'ai pourtant dit que je ne voulais pas de fausses promesses…"

Je serre les dents à cette accusation. Surtout vis à vis des paroles de chanson. Je pensais qu'elle me connaissait mieux que ça, après tout.

Mais elle m'a attrapé la main. La mienne est gelée, et la chaleur des doigts d'Emily parvient à raviver quelque peu un espoir qui s'était pourtant éteint.

"– Je ne t'ai pas rejeté, Tom. C'est toi qui prends la fuite alors que tu aurais dû me rassurer… Me prouver que je me trompais sur toute la ligne… En fait non, c'est précisément ce que tu as fait"

Lorsqu'elle lâche ma main, et qu'elle fait un pas en arrière, je n'ose tout d'abord pas la retenir. Ses accusations m'ont touché en plein coeur.

"- Je pensais que nous ressentions la même chose, mais … Tu m'as prouvé que non."

Je sais qu'elle s'apprête à partir, à me laisser là seul dans le froid. Mais je ne peux pas la laisser faire.  Pas après tout ce qu'elle vient de me dire.

Et ce sourire sur ses lèvres est cette fois incroyablement triste.  Oublié est le masque qu'elle portait précédemment.  A présent, c'est la vraie Emily qui est devant moi.

Je fais un pas en avant.
Elle tremble de froid, et probablement de colère, aussi.

"- J'ai renoncé, car je pensais que tu souhaitais que cela s'arrête là", je rétorque d'un ton doux. "Tu m'as dit toi même que ça ne pouvait pas fonctionner"

Et je m'avance à nouveau, jusqu'à être juste devant elle, mon regard planté dans le sien.

"- Je ne suis pas là pour te forcer, Emily. Je ne veux pas t'enfermer dans une relation à laquelle tu ne crois pas."

Je lève une main vers elle, avec la volonté de lui caresser le visage. Mais je n'ose que lui effleurer la joue du bout des doigts.

"- Je ne mentais pas", j'ajoute ensuite.  "Je suis incapable de mentir lorsque cela te concerne. Je n'avais pas prévu de tomber amoureux. De toi, ou de qui que ce soit d'autre. Et pourtant... Pourtant c'est ce qui s'est produit. Et je suis profondément désolé si je t'ai donné l'impression que ce que je ressens à ton égard n'est pas sincère."

Je détourne le regard. Je n'ai pas envie de voir l'expression sur son visage alors que je viens de lui avouer ce que je ressens pour elle.  J'ai l'impression de m'être mis à nu. Reste à savoir si elle acceptera mes excuses.

"- Je sais que c'est trop tôt, trop rapide", je poursuis malgré tout. "Mais j'ai envie de construire quelque chose avec toi. J'ai juste besoin que tu me fasses une place, Mily, et que tu crois en nous. "

Je ne me souviens pas avoir déjà ressenti une douleur et une colère pareille. Cette sensation est vraiment étrange… Je suis même totalement incapable de savoir vers qui ou quoi se dirige cette fureur chaude. Je me sens perdue… Épuisée… Je n'ai pourtant pas la moindre envie de me disputer avec lui. Je déteste ça… Cette situation, les mots, les regards que nous échangeons… Je déteste ressentir toutes ces émotions en pleine explosion…

Il avance, je recule… Quelle danse stupide. Je ne sais même pas pourquoi je réagis ainsi alors que je désire tout l'inverse. Ce que je veux c'est de retrouver la chaleur de ses bras, la tendresse de ses baisers… Son ardeur. Au lieu de ça, je me comporte comme un putain d'animal sauvage qui crains d'être capturé…

– J'ai renoncé, car je pensais que tu souhaitais que cela s'arrête là. Tu m'as dit toi même que ça ne pouvait pas fonctionner.

C'est vrai, c'est ce que je pense. Je suis certaine que cela ne pourra jamais fonctionner entre lui et moi… Pas à cause de nous, de notre entente ou de ce que l'on ressent l'un pour l'autre mais uniquement à cause de nos modes de vie. C'est ce que je ressens au plus profond de mon âme… Pourtant, cela ne m'empêche pas d'espérer une autre issue. Je sais que c'est stupide, mais c'est comme ça. J'aimerais ressentir toute autre chose. Je sais que ce serait beaucoup plus simple… Et pourtant… Mon cœur n'en fait qu'à sa tête !

Cette fois, quand il se rapproche, je ne bouge plus.

–Je ne suis pas là pour te forcer, Emily. Je ne veux pas t'enfermer dans une relation à laquelle tu ne crois pas.

C'est bien… Mais c'est trop tard. Qu'il le veuille ou non, l'un comme l'autre, nous sommes déjà prisonniers.

– Je ne mentais pas.  Je suis incapable de mentir lorsque cela te concerne. Je n'avais pas prévu de tomber amoureux. De toi, ou de qui que ce soit d'autre. Et pourtant... Pourtant c'est ce qui s'est produit. Et je suis profondément désolé si je t'ai donné l'impression que ce que je ressens à ton égard n'est pas sincère.

"Amoureux"

Voilà qu'il ose finalement nommer l'innommable… Et il me fait en détournant les yeux… Pourquoi ? Est-ce si atroce d'avouer ce qu'il ressent ?

– Je sais que c'est trop tôt, trop rapide. Mais j'ai envie de construire quelque chose avec toi. J'ai juste besoin que tu me fasses une place, Mily, et que tu crois en nous.

– Trop tôt ou trop rapide selon qui ? je demande en penchant légèrement la tête sur le côté, comme le fait Nix quand je commence à agir bizarrement. Crois-tu vraiment que j'avais prévu quoi que ce soit, moi ?

J'ouvre les bras comme si je pouvais englober toute mon existence entre mes mains.

– C'est arrivé… C'est tout… je soupire. Honnêtement, je n'avais pas la moindre envie de tomber amoureuse… Et encore moins d'un homme qui a autant de points communs avec mon père…

Je ne plaisante qu'à moitié. Au fil des ans et des rencontres, il m'est arrivé de ressentir un certain attachement envers quelques personnes… Mais jamais je n'en suis tombée amoureuse. En tout cas, pas comme ça. Je ne sais pas comment il s'y est pris, mais Tom est parvenu à me faire sortir de ma coquille… À m'ouvrir à un autre être humain… Et bon sang, il a fallu que ce type là soit une célébrité internationale de la chanson …

– Je ne sais pas s'il est vraiment possible de construire quoique ce soit ensemble. Tu sais… Je doute beaucoup, constamment… C'est pour ça que je vis seule dans une vieille baraque isolée, avec mon chien et que mon meilleur ami est un vieil homme de quatre-vingt ans… Je ne laisse personne rentrer dans ma vie, Tom… Et toi… Tu débarques avec ton pick-up et ta guitare et… Tranquillement, tu t'es fait ta petite place dans mon existence. C'est franchement perturbant, tu sais ?

A quel moment a-t-il commencé à prendre autant de place dans ma vie, dans mon cœur ? Je n'en sais rien… Je n'ai rien vu venir en réalité.

– Mais je suis amoureuse de toi, Tom. Même si ça m'embête, même si ça me fiche la trouille, même si je ne le voulais pas… C'est comme ça, je suis amoureuse de toi.

Si je me répète c'est autant pour me faire comprendre que pour me permettre d'accepter mes propres sentiments. Tout cela est si nouveau pour moi que je ne sais pas comment m'y prendre… C'est frustrant, perturbant aussi…

–Des doutes, j'en aurais toujours. Je ne suis pas une personne très optimiste, tu sais. Et puis, je n'ai jamais vraiment vécu de relation avec qui que ce soit auparavant… Alors, j'ai besoin que tu me rassures, que tu me donnes des raisons de te croire, de te faire confiance… Pas que tu prennes la fuite.

J'avance à mon tour… Un dernier petit pas, nos poitrines se touchent presque à présent.

– Mais c'est peut-être trop pour toi… Je peux aisément le comprendre. Dans ce cas, mieux vaut se dire adieu dès maintenant, mais sans cris, sans larmes…

"– Trop tôt ou trop rapide selon qui ? Crois-tu vraiment que j'avais prévu quoi que ce soit, moi ?"

Je grimace à cette accusation. Helena m'avait souvent reproché de prendre les choses trop au sérieux, et de vouloir avancer trop vite. Mais là, Emily me demande l'inverse, de laisser tomber mes doutes et de me jeter dans l'inconnu. Ce n'est pas quelque chose que j'ai l'habitude de faire. Et ce n'est pas évident pour moi d'abandonner mes vieux démons et de me jeter à corps perdu dans une relation.

"– C'est arrivé… C'est tout… Honnêtement, je n'avais pas la moindre envie de tomber amoureuse… Et encore moins d'un homme qui a autant de points communs avec mon père…"

Décidément, j'en prends pour mon grade. Mais je fais de mon mieux pour essayer de ne pas laisser transparaître ça sur mon visage.

"– Je ne sais pas s'il est vraiment possible de construire quoique ce soit ensemble. Tu sais… Je doute beaucoup, constamment… C'est pour ça que je vis seule dans une vieille baraque isolée, avec mon chien et que mon meilleur ami est un vieil homme de quatre-vingt ans… Je ne laisse personne rentrer dans ma vie, Tom… Et toi… Tu débarques avec ton pick-up et ta guitare et… Tranquillement, tu t'es fait ta petite place dans mon existence. C'est franchement perturbant, tu sais ?"

Je ne peux m'empêcher de sourire. Malgré les circonstances, je me sens incroyablement chanceux d'avoir réussi à me faire une place dans son monde.
Surtout en étant moi. Simplement moi.

"– Mais je suis amoureuse de toi, Tom. Même si ça m'embête, même si ça me fiche la trouille, même si je ne le voulais pas… C'est comme ça, je suis amoureuse de toi."

Je l'avais déjà compris. Je l'avais lu dans les accusations qu'elle m'avait lancé un peu plus tôt. Et aussi dans la danse de nos corps, lorsque nous laissons ces derniers s'exprimer à la place de nos mots. Ou du moins, j'avais eu envie d'y croire. Mais l'entendre m'avouer ceci à voix haute... Je n'avais pas réalisé à quel point j'en avais besoin.

"–Des doutes, j'en aurais toujours", poursuit Emily. "Je ne suis pas une personne très optimiste, tu sais. Et puis, je n'ai jamais vraiment vécu de relation avec qui que ce soit auparavant… Alors, j'ai besoin que tu me rassures, que tu me donnes des raisons de te croire, de te faire confiance… Pas que tu prennes la fuite."

Cette fois, c'est elle qui s'avance vers moi. Un peu plus. Juste assez pour que nous ne soyons séparés que par quelques centimètres.
Il suffirait que je penche la tête pour capturer ses lèvres...

"– Mais c'est peut-être trop pour toi… Je peux aisément le comprendre. Dans ce cas, mieux vaut se dire adieu dès maintenant, mais sans cris, sans larmes…"

"– Non !" je m'exclame aussitôt, peut-être d'une manière un peu brusque.
Mais comment peut-elle me proposer de tout oublier, de tout laisser tomber, après tout ce qu'elle m'a dit juste avant ?

"– Non. Je ne veux pas d'adieux. Je ne veux pas abandonner. Je veux continuer. Avec toi. Je veux que nous construisions quelque chose ensemble. "

Cette fois, je n'hésite pas à glisser ma main contre sa joue. Elle est gelée. Nous ne devrions pas rester beaucoup plus longtemps ainsi dans le froid.
Mais je lève ma deuxième main, jusqu'à venir encadrer son visage.

"–Fais-moi une place, Emily", je lui souffle en rapprochant mon visage du sien. "Je te promets de tout faire pour que ça fonctionne. Je t'appellerai tous les soirs s'il le faut. Juste pour entendre le son de ta voix. Et dès que je pourrai, je reviendrai ici. S'il te plait, laisse-nous une chance."

Et je n'arrive plus à attendre. Je soupire contre ses lèvres, les capturant dans un baiser hésitant, qui me fait pourtant frissonner.

Je suis complètement accro à elle, à la douceur de ses lèvres, de sa peau, à son odeur. A tout ce qui fait d'elle Emily.

Je lâche son visage, continuant de l'embrasser alors que mes bras se resserrent autour d'elle. Elle est gelée, et moi aussi. J'aimerais réussir à créer un cocon de chaleur autour de nous, mais c'est presque impossible avec ce froid tenace.

Je pourrais continuer de me taire et le laisser partir. Je suis tellement persuadée qu'une histoire entre nous est vouée à l'échec qu'il me semble que c'est encore le mieux à faire… Alors, pourquoi suis-je là, devant lui ?

Les mots s'échappent en un flux incessant de paroles anarchiques. Toutes mes pensées sont atrocement bordéliques au point que j'en suis à me demander s'il peut vraiment comprendre mes paroles . Mes émotions bouillonnent et coulent dans mes veines comme s'il s'agit de mon sang. Il y a de tout dans ce bouillon émotionnel. De la colère, de la peur et cet autre sentiment, plus chaleureux encore que tout le reste, celui que l'on essaie d'étouffer lui comme moi… Celui-là même qui hurle à présent et qui ne demande qu'à s'exprimer. Jamais auparavant je ne me suis sentie aussi vulnérable qu'en cet instant.

Mais tant pis… Je sais qu'il a besoin de comprendre ce que je ressens et, quelque part, je le lui dois. Après tout, ne vient-il pas de se livrer, lui aussi ?

Néanmoins, consciente de ma propre complexité, je décide de lui offrir la possibilité de partir s'il le souhaite. Je veux simplement que cela se fasse en douceur, j'ai bien compris que nous sommes également très doués pour nous blesser l'un l'autre.

Sa réaction me surprend. À dire vrai, je ne m'attendais pas à l'entendre prononcer un "Non!" aussi brusque.

– Non. Je ne veux pas d'adieux. Je ne veux pas abandonner. Je veux continuer. Avec toi. Je veux que nous construisions quelque chose ensemble.

Sa main sur ma joue me pousse à fermer les yeux. Elle est presque chaude sur ma peau gelée et cette sensation est extrêmement agréable. L'instant d'après, c'est mon visage entier qu'il retient entre ses mains. Par ce geste, il me capture sans me laisser la moindre possibilité de fuir… Mais en ai-je seulement envie ? Absolument pas.

– Laisse-moi une place, Emily. Je te promets de tout faire pour que ça fonctionne. Je t'appellerai tous les soirs s'il le faut. Juste pour entendre le son de ta voix. Et dès que je pourrai, je reviendrai ici. S'il te plait, laisse-nous une chance.

Je lui souris tout en posant mes mains sur les siennes. Je prends sur moi pour ne pas lui demander de ne rien me promettre. Je ne veux pas m'accrocher à quelques paroles prononcées sur le coup de l'émotion… Jamais. Mais il ne me laisse pas le temps ou la possibilité de rétorquer quoique ce soit. Il me fait taire de la plus exquise des manières. Je réponds instinctivement à son baiser. Je pense être totalement incapable d'y résister. Le pouvoir que cet homme à sur moi est incroyablement perturbant. Mes mains abandonnent les siennes pour s'accrocher à sa taille. Je n'ai pas la moindre envie de le lâcher. J'en oublierai presque le froid mordant qui me dévore les chevilles et la nuque…

– On devrait rentrer …

Je l'invite à me suivre à l'intérieur où l'on retrouve la douce chaleur du poêle… Pourtant, c'est sa chaleur à lui que je recherche, encore. Celle qui se trouve sur ses lèvres, contre sa peau. Je suis totalement incapable de le relâcher.

– Je… Je vais venir… Voir ton concert… Enfin, si tu veux bien, lui dis-je, légèrement hésitante. Je veux te voir sur scène. Je ne sais pas si je peux encore trouver un billet cela dit…

Je ne suis pas particulièrement emballée à l'idée de me retrouver dans cette grande ville au milieu de toutes ces personnes inconnues mais... J'ai vraiment envie de faire cet effort là pour lui. Je veux le connaître davantage, en apprendre encore plus...

Elle répond à mon baiser et je me détends progressivement alors que ses mains glissent sur ma taille. J'ai l'impression qu'elle s'accroche à moi comme si j'étais ce qui l'empêchait de sombrer. Et j'aime cette sensation. Cette impression de lui appartenir.

J'arrive presque à oublier ce froid pourtant toujours aussi désagréable.
Presque.

"– On devrait rentrer …"

J'acquiesce aussitôt. Je n'ai pas envie de prendre froid, et Emily frissonne dans mes bras.

Je la laisse me conduire jusqu'à l'intérieur de la maison, jusqu'à nous installer juste devant le poêle.
Et je suis pris d'une timidité soudaine. J'ai envie de l'allonger sur le canapé, ou de l'attirer à nouveau dans la chambre, et de me blottir contre elle. Mais le poids de nos aveux antérieurs pèse lourdement entre nous. Je n'ai vraiment pas envie de tout gâcher. Et nous ne sommes cette fois plus dans cette obscurité relative. La lumière de la pièce est certes tamisée, mais je n'ai aucun mal à détailler les expressions sur son visage.

Je laisse donc Emily mener la danse, et soupire lorsqu'elle m'attire une nouvelle fois à elle.
Je sais qu'il me faudrait en temps normal plusieurs minutes pour regagner une température corporelle optimale.
Mais Emily est dans mes bras, contre moi, ses lèvres sur les miennes. Un tout autre type de chaleur se propage en moi. Une chaleur bien plus agréable, et tout aussi nécessaire.

Lorsque nous nous séparons, elle a l'air hésitante. Et c'est d'une voix presque tremblante qu'elle reprend la parole.

"– Je… Je vais venir… Voir ton concert… Enfin, si tu veux bien. Je veux te voir sur scène. Je ne sais pas si je peux encore trouver un billet cela dit…"

Pardon ?
Ma surprise doit probablement se lire sur mon visage. Et elle est bien vite éclipsée par un éclat de rire. Un mélange de joie et d'incrédulité.

"– Tu... Tu le veux vraiment ?"

Je n'arrive pas vraiment à y croire. C'est tout ce que je souhaitais, la garder près de moi, encore un peu. Et qu'elle me propose ainsi de m'accompagner...

Mais je me reprends bien vite.

"– Est-ce que tu es sûre ? Je serais incroyablement heureux de t'avoir avec moi, mais la perspective de la foule, de mes fans, de la presse... Tout cela n'avait pas l'air de t'enchanter."

Puis un sourire joueur effleure mes lèvres.

"- Toutefois", je lui murmure. "Cela permettra de vérifier à quel point le lit de la chambre d'hôtel sera confortable."

Je l'embrasse brièvement.

"- Et tu n'as pas à t'en faire pour le billet de concert. Mon manager en garde toujours quelques uns sous le coude. Je le menacerai simplement de ne pas venir s'il ne te trouve pas une place avec une belle vue. Et en loge, surtout. Pour t'éviter d'être écrasée par la foule."

Mes bras se resserrent autour d'elle.

"- Dis-moi simplement que tu en as vraiment envie, et que ce n'est pas seulement pour me faire plaisir."

La mine qu'il affiche est tout simplement… Magique. Je ne sais pas vraiment quelle émotion prédomine sur son visage. La surprise ? La joie ? Qu'importe au fond, qu'il s'agisse de l'une ou bien de l'autre, je sens mon cœur se réchauffer un peu.

– Tu... Tu le veux vraiment ?

J'acquiesce en silence. Je n'ai pas envie d'être séparée de lui, pas aussi vite. Puis ce désir que j'éprouve, celui d'en apprendre un peu plus sur lui, est bel et bien sincère.

– Est-ce que tu es sûre ? Je serais incroyablement heureux de t'avoir avec moi, mais la perspective de la foule, de mes fans, de la presse... Tout cela n'avait pas l'air de t'enchanter.
– Non, c'est vrai. L'idée de me retrouver au milieu d'une foule ne m'enchante absolument pas, j'avoue en souriant. Pour tes fans et la presse… Je resterai une hallucination collective, c'est tout. Puis je compte sur toi pour me faire oublier leur présence…

Je ris franchement lorsqu'il évoque le lit de cette fameuse chambre d'hôtel… et cela me donne envie de le taquiner un peu. Je pourrai peut-être simplement jouer sur les mots, après tout… J'ai dit que je voulais assister à son concert, je ne parlais pas de demeurer à ses côtés. Je pouvais tout aussi bien reprendre l'avion juste après. Hop, ni vue, ni connue… Mais son baiser, même bref, me coupe toute envie de taquinerie. Il semble si joyeux que je m'en voudrais de tout gâcher. Ce sourire sur ses lèvres… Il n'a décidément pas de prix.

– Et tu n'as pas à t'en faire pour le billet de concert. Mon manager en garde toujours quelques-uns sous le coude. Je le menacerai simplement de ne pas venir s'il ne te trouve pas une place avec une belle vue. Et en loge, surtout. Pour t'éviter d'être écrasée par la foule.

Mon sourire s'étire tandis que mes bras s'enroulent autour de ses épaules. Je sais qu'il n'aura pas vraiment de temps pour moi et que je risquais fort d'être un boulet pour lui… Mais..

– Dis-moi simplement que tu en as vraiment envie, et que ce n'est pas seulement pour me faire plaisir.
– J'ai envie de te voir sur scène, oui, je réponds avant de déposer un baiser sur ses lèvres. J'ai envie de passer un peu plus de temps en ta compagnie aussi, un baiser et mon sourire s'étire davantage… J'ai aussi envie… d'autre chose, la maintenant, puis je chuchote : Et je sais que toi aussi.

Le baiser que je lui offre se fait bien plus pressant. Je me laisse aller à cette passion jusque-là contenue afin de chasser les dernières preuves de notre dispute… Je veux tout balayer, les peurs, les doutes, le froid… Tout ce que je veux c'est repartir sur une toile blanche, avec lui. Je l'aime et cette fois, je veux lui prouver sans la moindre retenue.

Emily ne se départit pas de son sourire, et rit même à ma remarque au sujet du lit de la chambre d'hôtel. Mon coeur se réchauffe, éclipsant presque entièrement le froid qui s'en était emparé un peu plus tôt.

"– J'ai envie de te voir sur scène, oui"

Ses bras sont maintenant autour de mes épaules, et j'ai l'impression que l'ambiance dérape doucement tandis que nos corps se rapprochent. Je soupire lorsqu'elle m'embrasse sur les lèvres.

"– J'ai envie de passer un peu plus de temps en ta compagnie aussi"

J'ouvre la bouche pour lui répondre, mais elle me fait taire par un nouveau baiser.

"– J'ai aussi envie… d'autre chose, là maintenant"

Et sa voix change, pour ne plus être qu'un chuchotement. J'ai soudainement beaucoup plus chaud, et ce n'est pas seulement lié à la proximité du poêle.

"– Et je sais que toi aussi".

J'éclate de rire. Elle n'a pas tort, mais j'ai bien envie de la taquiner un peu.
Mon rire se tait contre ses lèvres, alors qu'elle m'embrasse avec fougue. Et s'il y avait jusqu'alors eu une certaine retenue chez elle, j'ai l'impression que cette dernière a entièrement disparu.
Je me perds longtemps dans ce baiser, alors que nos mains s'égarent.

Je n'arrive à me détacher brièvement d'elle que bien plus tard, à bout de souffle. Je suis probablement complètement décoiffé, mais un large sourire orne mes lèvres.

"– Qu'est-ce qui te fait croire ça ?", je lui répond du tac au tac. "Et puis..."

Je lui embrasse le bout du nez. Ce dernier est encore froid, comme une dernière trace de notre dispute. Et je ne peux résister à l'envie de goûter à nouveau ses lèvres.

Nous sommes toujours près du poêle, et j'ai le dos plaqué contre le mur de la pièce. Je fais facilement une tête de plus qu'Emily, mais j'ai bien l'impression que cette fois c'est elle qui mène la danse.

"- Tu as de la peinture dans les cheveux."

Mes lèvres glissent sur sa joue, évitant soigneusement les quelques traces heureusement déjà sèches sur sa peau.

"- Et sur le visage", j'ajoute ensuite.

Je lui souris, tout en collant mon front au sien. Elle est adorable, avec ces tâches de peinture, et ses cheveux emmêlés.

"- Crois-tu qu'il serait nécessaire de vérifier à d'autres endroits ?"

Je n'attends pas sa réponse, mes mains glissant sous son pull pour venir chercher la chaleur de sa peau.

"- Qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire de toi ?" je murmure ensuite. "Tu vas m'épuiser avant même d'arriver à Las Vegas".

Je fais mine d'avoir encore une once de contrôle sur la situation, mais je sais que c'est complètement faux. Je suis entièrement à sa merci. Et je suis bien trop heureux de m'abandonner entièrement à elle.

– Qu'est-ce qui te fait croire ça ?Et puis…

Je souris tandis qu'il m'embrasse le bout du nez, un geste qui me force à loucher puisque je suis totalement incapable de détacher mon regard de ses yeux brillants. Nos lèvres se retrouvent peu après pour échanger un énième baiser. L'on aurait pu croire que je me lasserai de ces preuves d'affection, et pourtant… Même les lèvres rouges et gonflées, j'en redemande.

–Tu as de la peinture dans les cheveux.
– Ah ? je m'écrie pendant d'abord qu'il se contente de me signaler un fait.

Néanmoins, je comprends bien vite que ce n'est pas le cas. Quand ses lèvres se posent sur ma joue, mon sourire s'étire… À l'évidence, il s'amuse… Moi aussi. Je ferme les yeux quand son front se colle au mien. J'aime cet instant. Je ne sais pas vraiment pourquoi celui-ci en particulier, mais je pense que c'est mon préféré.

– Crois-tu qu'il serait nécessaire de vérifier à d'autres endroits ?

Je frissonne lorsque ses mains encore froides rencontrent ma peau… Pour autant, ce n'est pas de la fraîcheur qu'il me transmet… Pas avec ce regard là, si brillant… si brûlant. Je sens mes joues rougir alors qu'une sensation de chaleur grimpe le long de mon dos…

– Qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire de toi ? Tu vas m'épuiser avant même d'arriver à Las Vegas.

– Moi, t'épuiser ? je murmure, l'air innocent sur le visage tandis que je passe mes mains parsemées de tâches de peinture sèche dans son dos. Loin de moi l'idée de te fatiguer…

Je lui souris puis je me hisse sur la pointe des pieds pour lui voler un autre baiser. Malicieuse, je lui mordille la lèvre inférieure avant de m'éloigner en souriant.

– Je ne sais pas ce que tu comptes faire… Mais moi, j'ai de la peinture à nettoyer, je lui offre un clin d'œil, reculant de quelques pas avant de retirer mon pull. Tu peux te faire un autre chocolat et te reposer sous la couverture…

Je recule tout en déboutonnant mon pantalon, avant de relever mon débardeur afin de laisser apparaître la peau de mon ventre. Je le taquine, tout simplement. Je joue avec cette délicate lueur dans ses pupilles sombres…

– Ne te fatigue pas trop surtout…

"– Moi, t'épuiser ? Loin de moi l'idée de te fatiguer…"

Ses mains s'impriment dans mon dos. Et je m'appuie un peu plus sur ces dernières. J'ai besoin de ce contact, de son contact.

Et je gémis lorsqu'elle me mordille la lèvre inférieure. J'essaie de l'embrasser de plus belle, mais elle s'éloigne, me laissant pantois.
Ses joues sont rouges, tout comme ses lèvres. Elle est absolument magnifique.
Je ne suis pas certain qu'elle réalise toute l'étendue du pouvoir qu'elle a sur moi. Mais en tout cas, elle sait comment me titiller jusqu'à me faire perdre la raison.

"– Je ne sais pas ce que tu comptes faire… Mais moi, j'ai de la peinture à nettoyer. Tu peux te faire un autre chocolat et te reposer sous la couverture…"

J'ouvre la bouche pour protester, mais je ne la lâche pas du regard tandis qu'elle ôte son pull, puis déboutonne son pantalon, avant de dévoiler la peau de son ventre en relevant son débardeur.
Je sais qu'elle joue avec moi, mais je suis suspendu au moindre de ses gestes.

"– Ne te fatigue pas trop surtout…"

Je pourrais lui dire que je ne suis pas du tout fatigué, que je ne suis pas si vieux que ça et que j'ai encore beaucoup d'énergie en réserve. Mais je ne peux que la fixer d'un regard brûlant, détaillant la moindre parcelle de cette peau qui se révèle une fois de plus à moi. Je me suis fait piéger à mon propre jeu, et ma seule issue est de capituler. Mais la reddition est délicieuse.

Je la rejoins en quelques enjambées, ne supportant pas de la voir s'éloigner ainsi. Et mes mains attrapent les siennes pour glisser ce débardeur un peu plus haut, jusqu'à ce qu'il finisse enfin au sol.
Elle ne porte rien en-dessous, et cela ne m'étonne guère. Je sais qu'elle a enfilé toute à l'heure quelques vêtements au hasard. Juste assez pour se couvrir. Tout comme moi.

J'ôte mes chaussures sans prendre garde où elles atterrissent. Ce n'est pas comme si j'avais pris le temps de les lacer toute à l'heure.

Puis j'ai tôt fait de me débarrasser de mon pull, dévoilant mon torse nu, et je ne frissonne qu'un instant, avant de me blottir contre la peau brûlante d'Emily.  Il ne me reste en tout et pour tout que ce pantalon de jogging un peu usé, et délavé par endroits. Jeff se moque souvent de ma garde robe, qui selon lui ne reflète pas du tout l'argent que je gagne avec ma musique. Mais pour l'heure, le tissu encore épais ne fait plus grand chose pour dissimuler la réaction de mon corps face à la proximité d'une Emily presque entièrement dévêtue.

J'enfouis mon nez dans son cou, prenant quelques secondes pour essayer de calmer les battements anarchiques de mon cœur. Mais c'est peine perdue. Le contact de son torse nu contre le mien ne fait qu'accentuer ce besoin de proximité qui me fait tourner la tête. Et ma main gauche s'égare sur cette peau douce. Je viens dessiner des arabesques sur son ventre, et glisse un instant plus bas avant de remonter, jusqu'à m'attarder sur ses seins. Et je m'émerveille une fois de plus de la douceur de sa peau.

Je capture à nouveau ses lèvres, ne me lassant pas de les embrasser encore et toujours, jusqu'à nous laisser à bout de souffle.

"- La couverture n'est intéressante que si tu es en-dessous avec moi", je lui glisse à l'oreille tandis que les doigts de ma main droite courent le long de son dos en suivant sa colonne vertébrale. Arrivés en bas, il ne me faut guère de temps pour faire glisser son pantalon le long de ses jambes. Et je ne peux m'empêcher d'accentuer ensuite la pression entre nos deux bassins.

"- Douche ?", je m'enquiers. "Ou tu préfères remettre le nettoyage à plus tard ?"