– Je rêve où tu viens de me traiter de beignet ? je pouffe alors qu'il dépose un baiser sur ma joue.

–Ma carrière va très bien, je te remercie. Je devrais sûrement retourner à Vegas dans les prochains jours, mais comme je te l'ai dit, Jeff s'occupe de tout pour le moment.
– Je sais… Mais ça m'embête de vous faire perdre du temps à tous les deux.

Je ne peux m'empêcher de culpabiliser, mon accident à causer des tas de soucis à pas de monde… La voiture de Sean est bonne pour la casse. Brenda a eu du mal à préserver le contrat pour la nouvelle galerie pour finalement le perdre… Jeff a dû accompagner Tom jusqu'ici pour le soutenir plutôt que de finaliser les choses à Vegas pour retrouver sa femme … Et Tom, qui est là mais qui passe énormément de temps au téléphone pour préserver ses chances. Sans cet accident, les choses ne seraient pas aussi compliquée et je m'en veux terriblement d'être indirectement responsable de tout ceci.

–Tu ne peux pas nous en vouloir d'être inquiet pour toi, Emily.Nous tenons à toi. Nous sommes simplement soulagés et heureux de voir que tu vas mieux. Tu nous a fait très peur.
– Je sais… je rétorque en m'efforçant de sourire.

Charly nous rejoint là-dessus… À son regard, je comprends que quelque chose ne va pas, mais il prend sur lui. Le téléphone de Tom sonne à nouveau ce qui le pousse à sortir pour prendre son appel…

– Je suis désolé Mily… me lance le jeune homme.
– Mais de quoi ?

Charly n'est pas vraiment un homme silencieux d'ordinaire. Au contraire, il est même plutôt bavard… Mais pas cette fois. Il reste silencieux et se contente de me tendre son téléphone…

Sur l'écran est affiché un article. Ou plutôt une interview de Kelly. D'abord surprise, je relève le regard vers lui alors qu'il m'invite à descendre… Je ne lis pas vraiment ce qu'il y a d'écrit là-dessus. Je me fiche bien de savoir ce que cette fille a à dire… Jusqu'à ce que je tombe sur un diaporama… Des photos de Tom et d'elle dans les bras l'un de l'autre.

Mon cœur se serre aussitôt, mais je refuse d'y croire. Alors mes yeux s'attardent sur les mots :
"Nous nous sommes rapprochés après le concert". "Une sorte de Lune de miel". "Un avenir commun."

Je suis au bord du malaise… Alors je rend le téléphone à Charly, toujours aussi silencieuse.

– Maintenant tu sais pourquoi il a tant tardé à revenir… me dit-il, amer. Il devait être avec elle…
– Arrête, s'il te plaît…
– Mily, ouvre les yeux s'il te plaît ! s'écrit-il. J'ai fait des recherches… Figure-toi qu'il a aussi trompé son ex…
– Arrête !
– Il se fiche de toi !
– Assez ! je finis par hurler, les deux mains posées sur mes tempes douloureuses.

Sean intervient et lui ordonne aussitôt de sortir… Ce qu'il fait, non sans protester…

– Il doit y avoir une explication… Sur papiers glacés ou sur un écran, les tabloïds restent des torchons.
– Je… Je ne veux pas en parler Sean… Laissez-moi seule pour aujourd'hui.
– Et Tom ?
– Je ne veux pas le voir pour l'instant…
– Mily, tu devrais lui…
– Pas maintenant, Sean…

Le vieil homme n'ajoute rien. Il sait à quel point je peux être têtue, il me connaît mieux que quiconque. Je suis fatiguée et vraiment trop énervée pour entamer une conversation surtout sur un tel sujet. Nul doute qu'en croisant Tom dans le couloir, Sean lui transmettra le message, à moins que Charly s'en soit chargé.

Je reviens vers la chambre d'Emily en souriant. Ce nouveau contrat semble bien avancer, et ça me met de bonne humeur, malgré la nécessité prochaine de retourner à Vegas.

Je suis surpris de croiser Charly dans le couloir. Mais je n'ai même pas le temps de saluer ce dernier qu'il me flanque un coup de poing. Directement dans le nez.

"– Mais qu'est ce qui te prends ?" je proteste en reculant pour éviter qu'il ne me frappe à nouveau.

Je retire ma main. J'ai le nez qui saigne.

"– Fiche le camp d'ici !" me lance le jeune homme. "Tu as fait assez de dégâts comme ça. Et maintenant tu la trompes ?"
"– Quoi ? Mais c'est ridicule !"
"– Et cette Kelly, alors ? Elle raconte des bêtises ? Et ces photos ?"

Il me tend son téléphone, et je ne peux qu'écarquiller les yeux en voyant les photos en question. Elle et moi avons l'air d'être enlacés.  Sauf que... sauf que je m'appêtais à la repousser !

"– Charly, je t'assure que ce n'est pas ce que tu crois..."
"– Fiche le camp !" Réitère-t-il. "Je doute qu'Emily veuille encore te voir."

Il fait volte face avant que je n'ai pu ajouter quoique ce soit.
Je reste planté là, dans ce couloir, le nez en sang. Nul doute qu'il lui a montré ces fameuses photos.

Je suis en colère, et profondément meurtri. Surtout lorsque Sean sort à son tour de la chambre et me conseille de rentrer à l'hôtel.

"– Il lui faut du temps pour digérer tout ça, tu sais. Ce n'est pas évident pour elle. "
"– Charly m'a montré ces photos, mais je t'assure que jamais rien ne s'est passé..."

Le vieil homme se contente de me tendre un mouchoir pour m'aider à m'occuper de mon nez. Je suis certain qu'il n'est pas cassé.

Lorsque le flux de sang se tarit enfin, Sean m'a déjà laissé pour retourner à l'hôtel.

Quand à moi, je sors mon téléphone et me dirige vers la sortie.  J'ai un coup de fil à passer.

"– On peut savoir à quoi tu joues, Kelly ?" je siffle dès qu'elle me salue à l'autre bout de la ligne.
"– De quoi tu parles, Tom ?" feigne-t-elle.
"– Est-ce que tu réalises l'étendue de tes mensonges ? Cette interview... "
"– C'est bon, Tom", renifle-t-elle. "Tu sais comment c'est, ça nous fait de la pub à tous les deux, et..."
"– L'autre jour, quand tu m'as sauté dessus, c'était prévu, n'est-ce-pas ? Jake avait prévenu la presse ?"

Jeff et moi sortions de notre hôtel à Vegas lorsque cet incident s'était produit. Jeff était parti avant moi, rejoignant déjà la voiture. Et moi, j'avais fait demi-tour, pour récupérer mon téléphone que j'avais oublié dans ma chambre.
En sortant de l'hôtel, Kelly m'avait sauté dessus, se jetant violemment dans mes bras.
J'avais été bien trop surpris pour réagir immédiatement. Mais je l'avais finalement repoussé, lui demandant un peu sèchement ce qu'il lui prenait.
J'avais sorti cet incident de ma mémoire. Mais à présent je me rends bien compte des répercutions de ce dernier.

Le silence à l'autre bout de la ligne est lourd de sens...

"– Je vais me répéter une dernière fois, Kelly. Laisse. Moi. Tranquille ! Sors de ma vie. Fais comme si je n'existais pas, comme si je n'étais plus qu'une hallucination. Juste... Oublie-moi."
"– Tom... Attends !"
"– Non !" je rétorque sèchement. "Tu as fait assez de dégâts comme ça."

Je me résigne finalement à retourner à l'hôtel. Je doute qu'Emily ait envie de me voir. Et mon t-shirt est plein de sang.
A l'hôtel, ma chambre me semble bien trop étroite, et je n'ai même pas ma guitare avec moi pour essayer de me changer les idées.

Jeff ne répond pas à mes appels.

Je finis simplement par lire en entier cette interview.
Arrivé à la fin, je suis livide.
J'ai presque envie de rappeler Kelly pour lui hurler dessus.
A la place, je décide finalement de répliquer d'une toute autre manière.

Ça fait déjà quelques jours que je n'ai pas ouvert Instagram. Les commentaires sont virulents. Surtout vis à vis de la dernière photo que j'ai postée, de Jeff et de moi sur un chemin de randonnée. Beaucoup s'étonnent de l'interview de Kelly, certains m'accusent de tromper ma compagne.
Ma relation avec Emily ne semble plus être un secret pour personne. Il est assez facile de trouver des photos de nous sur la toile, tout comme cette vidéo de moi venant la chercher à la fin du concert, prise par un des fans présents dans la salle.
Et maintenant, je suis une nouvelle fois la cible de critiques suite à de fausses rumeurs.

Je ne mets guère de temps à rédiger un simple message. Assez pour me défendre, et surtout demander qu'on me laisse tranquille.

Je ne donne que peu de détails. Juste que les propos de Kelly sont entièrement faux, et que jamais je ne serai en couple avec une femme comme elle. J'ajoute que j'ai dû quitter Vegas, pour me rendre au chevet de ma compagne, sans donner de détails. Et je demande à ceux qui me liront de respecter ma vie privée.

Et enfin, pris d'une impulsion soudaine, je quitte l'hôtel avec notre voiture de location. Et je ne mets guère de temps à trouver un fleuriste.

La jeune femme derrière le comptoir me jette un regard empreint de curiosité. Mais lorsque je lui explique la raison de ma venue, elle acquiesce immédiatement avec un sourire, et m'assure que ma commande sera livrée le lendemain matin à l'hôpital, accompagné du mot que je rédige sur un petit carton qui sera positionné sur le bouquet.

En espérant qu'Emily aime les fleurs...

J'ai beau fouiller dans ma mémoire, je ne me souviens pas avoir déjà ressenti ça … Cela n'est en rien semblable à une perte. Je n'ai pas l'impression que l'on m'a arraché quelque chose non plus. Je ne suis même pas réellement triste, ça n'a même rien à voir… Non… C'est plus un subtil mélange de colère profonde et de dégoût.

Les photos, l'article…Je ne pense pas que tout ceci soit vrai. S'il se passait réellement quelque chose entre eux, les photographes auraient eu bien d'autres clichés à publier. Il suffit de regarder les photos que l'on trouve de Tom et moi sur leur toile à la noix. En quelques jours, nous avons même de quoi remplir tout un album. Et puis… C'est Kelly. S'il devait me tromper un jour, j'ose espérer qu'il choisisse quelqu'un de bien plus intéressant que cette pimbêche. Alors non, je ne crois absolument pas à cette histoire.

Mais cela m'a tout de même heurté, plus que je ne l'aurais cru d'ailleurs. Je ne l'ai pas vu pendant des semaines et il m'a affreusement manqué… Et voir cette fille poser ses mains sur lui en inventant toutes ces choses… C'est juste insupportable. Je déteste me sentir ainsi parce que, au fond, Tom ne m'appartient absolument pas. Ni à moi, ni à personne d'autre d'ailleurs. C'est une personne, pas un objet. Alors forcément, il est libre d'agir à sa guise… Et je n'ai aucunement le droit de protester ou de revendiquer quoique ce soit. Je l'aime et le respecte même beaucoup trop pour cela… Pourtant, je suis affreusement jalouse. Parce qu'elle était avec lui et pas moi. Parce qu'elle a pu le toucher et pas moi. Parce que… Je suis affreusement jalouse et possessive alors que je n'en ai pas le droit.

En refusant de le voir, je ne cherche pas à le punir. Il n'a rien fait de mal après tout. Je veux juste me calmer et faire le point sur tout ce qui me dérange. Je veux juste éviter de dire ou de faire quelque chose de blessant et d'aggraver les choses. Je n'ai pas envie de le perdre, pas comme ça… Pas pour une chose aussi stupide et surtout si fausse.

Le soir même, Lucy me téléphone pour prendre de mes nouvelles et aussi pour me parler de cette histoire de photos. Elle aussi est sûre que tout ceci est une nouvelle invention de Kelly et puis… Elle suit visiblement Tom sur les réseaux et m'apprend qu'il a posté un démenti sur instatruc.

– Tu devrais créer un compte toi aussi…
– Ça ne m'intéresse absolument pas, je soupire. Et puis, de ce que j'ai compris, les gens se permettent de donner leur avis sur ce genre de support et je trouve ça plutôt déplacé.
– Ce qui est beau, c'est que tu as quand même confiance en lui.
– Il a tout de même le droit aux bénéfices du doute, tu ne penses pas ?
– Si, tout à fait.

Nous discutons ensuite de mon état, de ma future rééducation. Elle insiste pour me rejoindre et emménager avec moi le temps que je puisse me débrouiller seule. Jusque-là, Sean et moi sommes parvenus à la tenir éloignée, mais je sens qu'elle ressent le besoin de venir et d'être là pour moi. Comment lui refuser maintenant alors que je n'en ferais pas moins à sa place.

– Je devrais sortir d'ici une quinzaine de jours. Sean va retourner à Castine pour faire quelques aménagements chez moi… Installer une rampe pour le fauteuil par exemple… Il veut même remplacer ma baignoire par une douche…
– Ce sera tout de même plus pratique.
– Peut-être, mais c'est une situation temporaire. Une fois ma rééducation achevée, je pourrais de nouveau gambader comme un lapin.

Je l'entends rire au bout du fil et cela me réchauffe le cœur.

– D'accord alors, je serai là à ta sortie.
– Ça marche.
– Tu comptes appeler Tom ?
– J'espère le voir demain…
– As-tu seulement une idée de l'état dans lequel il doit se trouver le pauvre gars ?
– Tu as raison… je soupire.

Après avoir raccroché, j'observe longuement mon téléphone. Ce n'est pas celui que Tom a choisi pour moi, ce dernier est décédé dans l'accident… Il s'agit d'un "vieux" téléphone appartenant à Charly. J'hésite un bon moment puis je me décide à taper un message. Juste quelques mots qui, je l'espère, lui feront comprendre que je ne lui en veux pas.

"Je t'aime,
Un peu,
Beaucoup,
Passionnément,
À la folie,
Et peut-être même un peu trop."

Ce n'est que le lendemain matin que Sean m'apprend ce qu'il s'est passé entre Charly et Tom. Je me sens affreusement mal et je m'empresse de décharger ma colère sur mon ami à travers le combiné. Il est rare que je me montre aussi hargneuse, mais je ne peux absolument pas tolérer un tel comportement… À peine ai-je raccroché que la porte s'ouvre sur une infirmière rougissante tenant un énorme bouquet de fleurs…

– C'est pour vous, précise-t-elle.
– Oh…
– Ça doit forcément venir de Tom, me lance Sean.
– Il n'y a que lui qui ne sait pas que je n'aime pas les fleurs coupées… je pouffe en secouant doucement la tête. C'est pas grave, pour aujourd'hui je vais les aimer… Je lui dois bien cela.

L'après midi passe à un rythme bien trop lent à mon goût.
Je n'arrive pas à me concentrer sur quoique ce soit. En désespoir de cause, je me retrouve en ville, et je me résigne à faire quelques achats de vêtements chauds.

Je ne revois pas Sean de la journée. Je n'ai guère envie de discuter avec qui que ce soit, à vrai dire. Emily me manque, et je suis tétanisé à l'idée qu'elle refuse à l'avenir de me voir.

Je n'ai pas osé lui envoyer un message, ou même essayer de l'appeler. Je commence à plutôt bien la connaître, et je sais que dans ce cas là il vaut mieux la laisser seule. Même si ça fait mal.  Même si j'ai juste envie de retourner la voir, de mettre les choses au clair avec elle...

Ma délivrance arrive dans la soirée, alors que je griffonne sur mon carnet toute l'expression de mon désespoir.

Mon téléphone vibre pour m'indiquer une nouvelle notification.  Juste un message.  Et mes yeux s'équarquillent en voyant l'expéditeur...

"Je t'aime,
Un peu,
Beaucoup,
Passionnément,
À la folie,
Et peut-être même un peu trop."

Mes mains tremblent, et je me force à poser le téléphone. J'ai envie de l'appeler. Mais voudra-t-elle seulement me répondre ?

Au fond, je dois bien admettre que je suis aussi blessé qu'Emily ai pu penser une seule seconde que j'aurais pu la tromper... Surtout avec Kelly.

Mais à vrai dire, je suis bien incapable de savoir ce qu'il peut bien se passer dans sa tête.

"Je t'aime. Je passerai te voir demain ?"

Je ne m'étends pas davantage. Je sais qu'elle et moi avons besoin de discuter en tête à tête.

Je dors mal, cette nuit là. Et je n'arrive à trouver le sommeil qu'au petit matin.
Lorsque je rejoins la chambre d'Emily, la matinée est donc déjà bien avancée. Je me sens presque honteux d'arriver aussi tard.

Je donne trois coups timides à la porte de la chambre, puis j'ouvre cette dernière.

Je suis soulagé de constater que Charly est absent.
Le bouquet est là, dans un vase. Mais mon regard est surtout attiré par Emily, toujours aussi belle malgré les quelques bleus encore présents sur son visage.

"– Je vais vous laisser seuls", annonce Sean en se levant de sa chaise. "Soyez sages, tous les deux", ajoute-t-il en me tapotant l'épaule.

La porte de la chambre se referme derrière lui.

Et moi je me tiens là, comme un parfait idiot. J'ai l'impression qu'Emily et moi n'avons presque pas été seuls depuis son réveil.  J'ai tant de choses à lu dire, mais je ne sais même pas par quoi commencer.

"– Emily..."

Je m'éclaircis la gorge, puis vient m'assoir dans cette chaise toujours aussi inconfortable.

Sa main est chaude lorsque je la prends dans la mienne.

"– Je suis désolé, au sujet de cette interview. Kelly est allée trop loin. Et je t'assure qu'il ne s'est rien passé entre elle et moi. Je t'aime beaucoup trop pour..."

Pour quoi ? Pour la trahir ainsi ?
Cela ne me viendrait même pas à l'idée.  Surtout avec quelqu'un comme Kelly.

"– Je peux t'assurer que tout ce temps passé sans toi à Vegas... Je voulais juste revenir. A Castine. Avec toi."

Je baisse les yeux.

"– Quand j'ai appris pour ton accident, je m'en suis voulu. J'ai fait passer ma carrière avant nous, et je vais devoir retourner à Vegas pour signer ce contrat. Probablement dans les prochains jours..."

Et c'est le moment que choisit mon téléphone pour sonner.  Bruyamment. Je soupire, et je le sors pour jeter un oeil.

"– Jake", je marmonne. "Qu'il aille se faire voir"

Je refuse l'appel et éteint cet engin de malheur.

"– Est-ce que... Est-ce que les fleurs t'ont plu ? Je ne savais pas celles que tu préférais..."

A peine a-t-il franchi la porte de ma chambre que Sean se lève pour nous laisser seuls. Je sais que mon mutisme de la veille l'a privé de toute possibilité d'explication, aussi je décide de le laisser parler.

Je l'écoute avec attention en veillant à ne surtout pas l'interrompre. Je ne veux pas lui donner l'impression d'avoir des idées très arrêtées ou pire… L'impression de simplement attendre mon tour de parole sans vraiment l'écouter.

Mais voilà que son téléphone se met de nouveau à sonner… Celui-là même qui a la fâcheuse habitude de nous interrompre à chaque instant.

– Je sais qu'il ne s'est rien passé avec Kelly, Tom, je lâche tandis qu'il éteint son appareil. Mais j'ai beau le savoir, cela ne m'a pas empêché de me sentir extrêmement jalouse. Je n'ai pas aimé ce que j'ai lu et j'ai détesté regarder ces photos.

Elle était là-bas, près de lui alors que je me retrouvais seule ici à des milliers de kilomètres. C'est déjà bien difficile de faire face au manque de l'autre, à la profonde tristesse que cela apporte… Lire ce genre de chose n'aide certainement pas à affronter la distance… Plus particulièrement en sachant qu'il lui faudra de nouveau s'absenter.

– Je t'aime… Mais je réalise simplement que si l'envie te prenait de voir quelqu'un d'autre, je ne pourrai rien y faire. Je serais totalement impuissante contre ça et… c'est affreusement normal.

Jamais auparavant je n'avais ressenti une telle chose. Jamais je ne m'étais inquiétée de voir l'autre m'être arraché. Je n'en avais rien à faire… Cette jalousie, c'est bien la première fois que je la ressens et je déteste ça.

Je lui serre doucement la main tout en prenant une grande inspiration. Il me semble nécessaire de mettre certaines choses au clair.

– Tu n'as pas à t'en vouloir de faire passer ta carrière en priorité. C'est même du bon sens. Tu te bats pour ça depuis des années et je n'ai pas la moindre envie d'être un frein pour toi… Notre relation est toute jeune encore… Qui sait ce qu'il adviendra de nous dans un an… Ou même dans un mois… Tu peux très bien te réveiller un matin et te rendre compte que tu ne m'aimes plus… Comme je peux aussi mourir dans un accident. La vie est faite de surprises, d'impondérables et d'incertitudes, Tom… Des choses contre lesquelles tu ne peux strictement rien. La vie peut à tout moment me faire disparaître de ton existence et ce pour un milliard de raisons… Alors autant te concentrer avant tout sur ta carrière.

Je lui offre un sourire, même si je suis bien consciente que mes paroles ne doivent pas être très agréables à entendre, surtout après mon accident.

– C'est pour ça que je n'aime pas les promesses… Il arrive bien trop souvent que l'on se retrouve dans l'incapacité de les tenir…Et on ne peut malheureusement rien contre ça.

Je réalise que je vais également devoir lutter contre cet épouvantable sentiment d'impuissance…

– Et concernant les fleurs… Je les trouve vraiment magnifiques… En revanche, je les préfère en terre que coupées et reposant dans un vase… je pouffe avant de déposer un baiser sur sa joue.

En l'observant de plus près, je remarque un léger bleu sur son nez…

– Je suis désolée pour ce que Charly t'a fait… Sincèrement…

Le simple fait de savoir qu'Emily a senti de la jalousie à l'égard de Kelly me fait sourire. C'est un sentiment particulier, celui de savoir qu'une femme est capable de se mettre dans un tel état à l'idée qu'une autre ait pu lui prendre sa place à mes côtés.

Mais en même temps, je comprends ses peurs... Je comprends cette impression de perdre peu à peu le contrôle de la situation.

"– Je n'ai pas envie de voir qui que ce soit d'autre", je tente de la rassurer. "Je n'ai pas envie de te quitter. Tout comme je n'ai pas envie de penser à tout ce qui pourrait arriver de négatif."

Je soupire. Je me rends bien compte des peurs qui se bousculent dans l'esprit d'Emily. Même si elle ne le montre pas toujours, je réalise peu à peu qu'elle doute. Constamment.

A l'entendre, on croirait presque qu'elle s'attend à que quelque chose nous sépare. Comme si elle et moi n'avions aucune chance de rester ensemble.

"– J'ai surtout envie de penser à toi. A nous", j'ajoute donc.

Et j'aimerais tant lui faire comprendre que cela ne sert à rien d'avoir peur, et qu'il vaut mieux se concentrer sur le positif, sur cette relation qui me donne l'impression d'être plus vivant que jamais.

"– Je ne mets pas de côté ma carrière. Je revois simplement mes priorités. Et il était grand temps que je le fasse."

J'ai un sourire gêné lorsqu'elle mentionne sa préférence pour les fleurs en terre. J'y songerai la prochaine fois. Mais je ne vais pas m'excuser de lui avoir fait livrer des fleurs.

Je ferme les yeux lorsqu'elle dépose un baiser sur ma joue. Nous n'avons pas réellement pu nous autoriser de gestes tendres, depuis son réveil. Juste lui prendre la main... Quelques baisers timides. Mais rien de plus.

Ce contact me manque.

Et pour Charly...

"– Charly a voulu te protéger. J'étais en colère contre lui, hier. Maintenant, je le comprends. Si j'étais à sa place, j'aurais probablement mal réagi."

Je passe un doigt sur le haut de mon nez, et grimace à la douleur encore bien présente.

"– Au moins il ne m'a pas trop défiguré", je plaisante. "Ca aurait été dommage de devoir expliquer ça aux médias."

Mais je n'ai plus envie de penser à tout ça. Elle s'est rapprochée de moi, et c'est donc naturellement que je glisse doucement une main dans sa nuque et que je me penche vers elle.

Elle m'a l'air encore si fragile, malgré cette volonté d'affirmer qu'elle n'est pas en sucre.

Mon nez effleure le sien.  Et j'hésite.

"– Est-ce que... Est-ce que je peux t'embrasser ?" je souffle doucement.

J'admire sincèrement cet homme pour son optimisme. Il l'est même très probablement pour nous deux. Je sais que je m'empoisonne l'existence avec ma façon de voir les choses. Il faut dire que la vie ne m'a jamais vraiment fait de cadeau jusqu'ici. Les gens que j'aime ont la fâcheuse tendance à disparaître brusquement… Je suis profondément marquée par toutes ces pertes brutales et si d'ordinaire cela me pousse à rester à l'écart des autres, Tom a su changer la donne. Il s'est insinué dans mon cœur, ma vie en franchissant chacune de mes barrières afin de trouver sa place. Une place qu'il a lui-même créé en réalité. Je ne regrette absolument pas de lui avoir ouvert mon coeur, bien au contraire. Je suis extrêmement reconnaissante d'avoir pu croiser sa route ce jour-là ...Sauf que mes vieilles peurs se sont bien évidemment éveillées par la même occasion.

C'est une chose contre laquelle je vais devoir lutter, je le sais… Je ne veux absolument pas lui faire subir le poids de mes doutes. Je ne veux pas qu'il soit sans cesse obligé de me rassurer pour à peu près tout. Il n'y a pas plus anxiogène comme relation et je ne tiens pas à ce que la nôtre ressemble à cela.

Mais il y a beaucoup de mes craintes qui sont particulièrement difficiles à ignorer… Comme le fait d'avoir peur de le freiner dans sa carrière… De le faire passer à côté de choses importantes pour lui. Je ne veux pas qu'il ait à choisir entre son travail et moi, jamais… C'est aussi pour cela que je ne cherche pas à le retenir auprès de moi, pas avec tout ce qu'il a à accomplir pour enfin gagner sa liberté de création. Il touche enfin au but et ce n'est pas rien…

Alors je serre doucement sa main tout en m'efforçant de sourire. Même lorsqu'il évoque Charly et le coup qui lui a porté pour me protéger… Je suis quand même rassurée de l'entendre plaisanter sur le sujet.

Et puis lorsque je dépose finalement un baiser sur sa joue, Tom se rapproche avec toute cette tendresse dont il sait faire preuve. Mes yeux se ferment à son contact… Ce contact qui m'a tant manqué durant des semaines..

– Est-ce que... Est-ce que je peux t'embrasser ?

Cette question empreinte d'une hésitation certaine m'arrache un sourire.

– Évidemment…

Je viens doucement m'emparer de ses lèvres… Des lèvres que je savoure avec tendresse et délectation. Je n'ai pas envie de le lâcher…Comme à chaque fois que nous nous retrouvons seuls… Comme à chaque fois que nous nous laissons aller… L'avidité me reprend, je veux plus…

– Quand dois-tu repartir ? je demande finalement. Et pour combien de temps ?

Je sais que j'en ai encore pour deux semaines d'hospitalisation au minimum. Cela dépendra des résultats de mes examens, mais les médecins sont assez confiants. Après cela, je pourrais rentrer chez moi et entreprendre des séances de rééducation régulière dans un centre spécialisé de Belfast… Durant ce temps et jusqu'à mon rétablissement, je serais contrainte de me déplacer en fauteuil et… Je ne voudrais pas qu'il voit cela.

"– Évidemment…"

Je souris lorsqu'elle capture mes lèvres. Ça m'avait manqué. Ce besoin pressant, cette volonté de me fondre en elle. Et surtout cette tendresse qui reste présente malgré l'urgence qui menace de prendre le dessus.

Je me recule avant que les choses dérapent.

"– Quand dois-tu repartir ? Et pour combien de temps ?"

Je n'ai pas envie d'y penser, mais je comprends son besoin de réponse.

"– Jeff s'impatiente", j'admets dans un souffle. "Il va falloir que j'y retourne dès que possible. Au moins pour deux semaines, je pense. Peut-être plus. Jake ne va pas nous lâcher comme ça."

Jeff et moi n'avons pas encore annoncé les choses à Jake. Nous préférerons avoir le nouveau contrat prêt et signé avant ça.

Et puis...

"– Peter ne va pas bien", je lui annonce ensuite. "Je n'ai que peu de détails, mais Jeff est inquiet. Et je sens bien qu'il ne me dit pas tout."

Et puis il y a Frank, qui ne répond pas à mes appels. J'aurais aimé discuter avec lui, lui expliquer ce que Jeff et moi avons prévu de faire. Jeff m'a annoncé qu'il était sorti de l'hopital. Mais depuis... aucune nouvelle.

J'embrasse Emily à nouveau. J'ai envie d'oublier tout ça, de vivre le moment présent, de ne plus rien sentir en-dehors de la pression de ses lèvres contre les miennes ou de la douceur de sa joue dans ma paume.

"– J'ai commencé à regarder les vols. Je peux en avoir un demain, à la première heure. Ou après-demain. Je n'ai pas envie de te quitter, mais..."

Je prends une profonde inspiration.

"– Je préfère régler tout ça, pour ensuite pour me concentrer uniquement sur toi."

Je lui caresse une nouvelle fois la joue avec un sourire tendre.

"– Crois-moi, tu ne vas pas te débarasser de moi comme ça", je ris doucement.

Puis je ne résiste pas à l'appel des lèvres d'Emily. Une fois encore. Une fois de plus. J'ai terriblement envie d'aller plus loin, de me serrer contre elle. Mais je sais aussi que ce n'est pas raisonnable.

– Jeff s'impatiente . Il va falloir que j'y retourne dès que possible. Au moins pour deux semaines, je pense. Peut-être plus. Jake ne va pas nous lâcher comme ça.
– Je comprends oui, je rétorque en souriant.

Je sais que cela ne l'enchante pas de devoir me laisser alors que je suis hospitalisée, mais c'est un mal nécessaire. Il touche enfin le bout de cette histoire et je lui ai assez fait perdre de temps comme ça…

– Peter ne va pas bien.
– Oh non…

Nous l'avions pourtant laissé sur un bon espoir puisqu'il s'était réveillé mais… Je suppose, malheureusement, que son corps n'a pas dû supporter le choc provoqué par toutes les substances qu'il a ingurgitées. Toute cette histoire est affreusement triste… Comment peut-on à ce point briser un homme ? Finalement, Peter a été écrasé par le poids du succès… Du stress, du manque de reconnaissance… C'est ignoble.

–Je n'ai que peu de détails, mais Jeff est inquiet. Et je sens bien qu'il ne me dit pas tout.
– Je suis désolée…

Je serre doucement sa main dans la mienne. Je n'ose imaginer comment ils doivent se sentir en voyant leur ami aussi mal.

Ses lèvres viennent de nouveau à la rencontre des miennes. Je ressens son besoin d'évasion, de repos et je suis triste de ne pas pouvoir lui offrir tout ceci. Je n'ai fait que rajouter des soucis à sa vie déjà bien compliquée et je m'en veux pour ça…Énormément.

– J'ai commencé à regarder les vols. Je peux en avoir un demain, à la première heure. Ou après-demain. Je n'ai pas envie de te quitter, mais… Je préfère régler tout ça, pour ensuite pour me concentrer uniquement sur toi.
– Fais ce que tu as à faire, Tom. Je vais bien et je suis bien entourée ici.

Je suis même sous haute surveillance en permanence…

– Crois-moi, tu ne vas pas te débarrasser de moi comme ça.
– J'espère bien ! je raille tout en répondant à son baiser avec ferveur.

Deux semaines c'est long. Ça l'est d'autant plus quand on est coincé sur un lit d'hôpital, sans Tom. Lucy est venue me chercher, avec tambour et trompette, afin de s'assurer que tout le monde la remarque… Je suis affreusement mal à l'aise avec ce fauteuil peint en rose et recouverts de strass et de paillettes… Quelle horreur…

A l'approche de l'hiver, Castine a enfilé son manteau de neige… C'est magique. J'aime voir ma maison ainsi recouverte de cette couche duveteuse et brillante… Malgré la rampe qui a remplacé les quelques marches qui mènent jusqu'au porche. A l'intérieur, pourtant, c'est toute la maison qui est transformée. Sean et Lucy ont déplacé tous les meubles pour s'assurer que je puisse passer avec le fauteuil. Il a accroché une barre en bois tout le long des murs pour que je puisse m'y accrocher. Je me sens extrêmement reconnaissante lorsque je remarque que mon lit a été remplacé par un autre…

– Alors là, non… Vous me retirez ça tout de suite ! je gronde.
– Mais Jane, ce sera beaucoup plus pratique pour toi ! Proteste Lucy.
– Tu rigoles ? Ça, c'est un lit pour les malades et les mourants ! Je viens d'en quitter un et ce n'est certainement pas pour en retrouver un chez moi !
– D'accord, je vais l'enlever… soupire Sean avant de lancer un regard à Lucy qui veut clairement dire "je te l'avais dit !"
– Merci …

Je commence la rééducation dès le lendemain et on peut dire que c'est… difficile. Le soir, au téléphone, je raconte tout cela à Tom, toujours par téléphone. Son retour a de nouveau été retardé mais je n'en suis pas vraiment étonnée. Je lui demande comment les choses vont pour lui, je prends des nouvelles de Jeff, de Peter et de Frank. Je lui parle de Ben, mon kinésithérapeute attitré et mes soupçons concernant son sadisme envers ses patients. Je lui ai envoyé plusieurs photos et vidéos de Castine sous la neige et de la dernière invention de Sean : un fauteuil traîneau.

–Tu me manques…

Ca fait déjà deux grosses semaines que je suis de retour à Vegas. Et c'est beaucoup trop long.

J'ai récupéré la même chambre dans le même hôtel. Comme si rien ne s'était passé. Comme si les dernières semaines n'avaient pas été synonymes pour moi d'une angoisse difficile à gérer...
Et si Jeff fait de son mieux pour essayer de me remonter le moral, je sens bien que ce séjour prolongé commence lui aussi à l'agacer.
Sa femme lui manque, et il devient grognon, avec le temps.

Les températures ont baissé à Vegas. Moins qu'à Castine, visiblement.
Les photos qu'Emily m'envoie n'ont rien à voir avec le paysage que je vois depuis la fenêtre de ma chambre d'hôtel.
Castine a l'air magnifique, sous cette neige. Castine, tout comme Emily.

Elle m'a montré son fauteuil, aux couleurs pour le moins originales. Et puis elle me parle de sa rééducation, et surtout du sadisme de son kiné.

Je ne peux m'empêcher de rire à cela.

"– Dès que je reviendrai, je te ferai des massages pour te faire oublier tout ça."

J'ai revu Frank assez brièvement, le lendemain de mon retour. Assez pour que ce dernier me flanque un coup de poing dans le visage. Ou du moins, essaie de le faire. J'ai été plus rapide, cette fois et j'ai réussi à l'éviter.

A croire que ma mésaventure avec Charly m'aura servi à quelque chose.

Frank m'a accusé de tous les maux de l'univers, de prendre trop le dessus dans le groupe, d'être obnubilé par ma célébrité et de ne plus penser aux autres, et surtout, de ne pas m'inquiéter de la santé Peter.

Cette altercation est encore bien présente dans mon esprit. Surtout vis à vis des récents évènements.

J'ai bel et bien l'impression que le divorce est prononcé. Frank s'est envolé pour Los Angeles quelques jours plus tard. Si je me fie aux dernières nouvelles, relayées par Camille, il serait en train de chercher un nouveau contrat.

Les journaux à scandales se font un plaisir de relayer tout ce qui se passe actuellement, vis à vis de notre groupe. Et je sais que Jake fulmine. Il m'a déjà appelé plusieurs fois pour me hurler dessus.
Comme si tout ça était de ma faute.

Heureusement, il y a cette bonne nouvelle... Celle de savoir qu'Emily est enfin rentrée chez elle. Certes, elle a encore un long chemin à parcourir avant d'être complètement remis. Mais c'est déjà un poids en moins sur mes épaules.

"– Tu me manques…"
"– Tu me manques aussi", je soupire.

J'ai envie de la prendre dans mes bras, de l'embrasser, de la serrer contre moi jusqu'à ce que je ne fasse plus qu'un avec elle.
Mais je sais que pour l'heure, c'est impossible.

"– Peter a été transféré à Los Angeles", je lui annonce ensuite. "Sa famille souhaite... Ses parents préfèrent qu'il soit hospitalisé là-bas, si jamais..."

Les nouvelles ne sont pas bonnes, et elles semblent empirer de jour en jour.

"– Je m'y rendrai très prochainement. Ne serait-ce que pour vérifier si ma villa tient encore debout."

Je plaisante, mais je sais que tout va parfaitement bien. Joy, la femme de Jeff, est adorable, et je sais que je peux compter sur elle pour jeter un œil de temps à autre à cette villa, le reste du temps entretenue par un service de nettoyage.

"– Sinon, j'ai une bonne nouvelle", je reprends avec un sourire timide.

J'ai du mal à sourire complètement, mais je pose mon téléphone juste le temps d'attraper une liasse de papiers, tout en bas de laquelle est apposée ma signature.

Et je présente celle-ci à la caméra.

"– Le contrat est signé. Jeff et moi sommes officiellement engagés pour réaliser au moins deux albums pour le label de Camille."

Je n'avais pas osé lui en parler avant, de peur que les négociations sur certaines clauses prennent plus de temps que prévu.

A vrai dire, c'est presque inespéré. Ca fait plus d'un mois que les négociations sont en cours. Un mois, c'est long. Surtout lorsqu'Emily est si loin de moi.

Mais le temps de réflexion a été indispensable. Ni Jeff ni moi n'étions prêts à signer les yeux fermés comme nous l'avions fait avec Jake, des années plus tôt.
Joy a tenu à relire chaque version du contrat, que lui envoyait Jeff, et à le faire relire par son avocat.

Mais enfin, nous avons un contrat qui convient à tous. A Camille, comme à nous.
Et c'est un soulagement indescriptible.

"– Nous devons simplement annoncer ça à Jake, mais les avocats de Camille se sont assurés que ce contrat nous libérait d'office de celui que nous avions jusqu'à présent."

Je n'ai pas envie de crier victoire trop vite, mais j'ai bien l'impression que l'horizon s'éclaircit.

"– Nous le voyons demain à la première heure", je reprends. "Ensuite..., eh bien..."

Je souris un peu plus.

"– A vrai dire je compte bien retourner passer quelques jours en Californie. Rassurer mes parents, récupérer quelques affaires. Et surtout des vêtements chauds. Ensuite, si tu veux toujours de moi, plus rien ne m'empêchera de venir te rejoindre."

Les choses sont bien évidemment un peu plus compliquées que prévu. Même si Jeff et moi avons réussi à négocier quelques semaines de battement, il faudra bien évidemment que nous commencions à travailler sur ces fameuses chansons. Mais pour ça, il me faut mon ordinateur, que j'ai laissé chez moi à Los Angeles. Surtout si nous voulons nous arranger pour travailler à distance.

Et mes parents s'impatientent. Nous sommes déjà début décembre, et je sais qu'ils voudront me voir. Surtout que je n'ai pas pu être présent pour célébrer Thanksgiving avec eux. Ou même le célébrer tout court. Et boire un peu trop avec Jeff dans cette chambre d'hôtel ne compte pas. Surtout que cette chambre ressemble de mon point de vue de plus en plus à une prison.

Et les fêtes de fin d'année approchent à grand pas...
Ou peut-être que je réfléchis trop et que je me projette un peu trop vite.

"– J'ai vraiment hâte de te revoir. Et de pouvoir te prendre dans mes bras. J'aimerais retourner à Castine plus tôt, mais je veux faire les choses correctement. Et lorsque je reviendrai, ce sera pour rester avec toi, et pas simplement arriver et repartir en coup de vent."

Je me mordille la lèvre inférieure.

"– Si ma compagnie ne te dérange pas, bien sûr", j'ajoute en souriant.