Il était encore tôt lorsque le policier était sorti pour faire son footing quotidien. Prenant le travail entre huit et neuf heure et ne le finissant souvent que très tard, il avait pris l’habitude de se réserver du temps pour faire du sport avant d’aller bosser. C’était aussi une bonne façon de commencer la journée. Alors que certains de ses collègues arrivaient en bâillant et ne débutaient réellement leur boulot qu’après plusieurs tasses de café, Nathaniel arrivait déjà tout frais et pimpant. Courir lui permettait de se vider la tête et, vu les affaires qu’il devait traiter, ce n’était pas un luxe. Puis c’était important de prendre du temps pour soi. Ça, il l’avait compris quand, après une grosse affaire, il avait presque fini en dépression. A force de ressasser tous les éléments de l’enquête et de patiner, de se prendre la tête avec lui-même et de ne plus dormir, il s’était presque complètement isolé des autres au point que même sa sœur s’était inquiétée. Pourtant, s’il y avait bien une personne sur cette planète qu’il préservait au mieux des côtés négatifs de son travail, c’était bien elle. Lynna le savait, il serait toujours là pour elle et elle passerait toujours avant le reste. C’était sa petite-sœur, et il la protégerait jusqu’à son dernier souffle. Ce qui ne l’empêchait pas d’aimer la taquiner, ce qu’elle lui rendait bien. Donc, après cette période compliquée, Nathaniel s’était juré de toujours faire attention à se montrer équilibré entre vie privée et vie professionnelle, bien que cet équilibre puisse être précaire dans son choix de carrière. Car pour lui, plus qu’un métier, c’était une vocation. Ce temps qu’il s’accordait tous les matins, ces petits tête-à-tête avec lui-même comme il aimait les appeler, lui était devenu essentiel. Et puis il avait aussi remarqué qu’un esprit bien aéré et apaisé était un allié précieux pour voir plus clair dans une affaire. Bref, que des avantages, même si certains matins, il aurait bien aimé rester sous la couette et dormir encore quelques heures de plus. Ça, il se l’accordait de temps en temps le dimanche, après une grosse semaine. Et les dimanches où il allait courir, il ramenait les croissants chez sa sœur et venait profiter de son café. En général, ils passaient le reste de la journée ensemble. Vu qu’elle était du genre casanier et lui plutôt à aimer sortir, ils alternaient les activités et loisirs pour que tous les deux y trouvent leur compte. Nathaniel et Lynna avaient la chance de connaître une belle complicité fraternelle.

Et c’était justement parce qu’ils passaient encore beaucoup de temps ensemble, même en étant deux adultes très occupés, que Nathaniel avait proposé un restaurant à sa sœur le soir même. Le gros de plusieurs affaires était en bonne voie d’être classé et, quand bien même, il tenait à leurs moments entre frère et sœur. Des enquêtes, il en aurait toujours. Mais le temps qu’on passait avec les personnes qu’on aime, lui, était limité. Son choix était donc fait. « Tu veux pas que j’emmène ma collègue ? Alleeeeez, tu verras elle est adorable. » tenta une nouvelle fois Lynna, plus impliquée dans la vie amoureuse de son frère que dans la sienne. « Si jamais ça t’avait échappé, je me suis fait plaqué y a trois semaines... Donc non. » déclara-t-il tranquillement tandis qu’il finissait de se changer, troquant son jogging pour un jean. « Oh... celle-là... je te l’avais dit depuis le début qu’elle valait pas le coup. La preuve, même toi t’as pas essayé de la retenir. » Nathaniel s’esclaffa. « C’est vrai. Faut dire que sa conversation n’était pas à la hauteur de ses magnifiques jambes galbées. » Lynna afficha un grand sourire et relança innocemment le sujet. « Oui, justement, je connais quelqu’un de cultivé, d’intelligent, de drôle et en prime, c’est un canon de beauté ! » Le policier soupira. « Tu sais, si elle te plaît tant que ça ton amie, tu peux toujours virer de bord et sortir avec. » Cette fois-ci, ce fut à la prof de soupirer, ce qui le fit rire. Néanmoins, à force d’enchainer les relations désastreuses, Nathaniel n’avait plus très envie de chercher à se caser pendant quelques temps. Oh, il ne doutait pas qu’un jour, il finirait par trouver une femme qui les accepterait, lui et son boulot aux contraintes parfois irritantes, mais là, une petite pause lui ferait du bien. Puis comme il lui avait déjà dit, il préférait s’abstenir de sortir avec des amies à elle. Si ça se passait mal, et c’était généralement le cas, Nathaniel refusait que sa sœur en paie les frais, en se retrouvait prise entre deux feux ou en perdant une amie. Donc non, bien qu’il n’ait aucun doute sur la gentillesse et l’érudition de cette fameuse Céleste dont il entendait tant parler, il estimait préférable de passer son chemin.

La journée avait passé tranquillement et Nathaniel avait apprécié de rester bloquer à son bureau, une tonne de paperasse à remplir. Ce qui n’était pas si étonnant que cela, puisqu’il lui arrivait, à lui comme à d’autre, d’aimer être au calme. Et surtout, ça l’arrangeait bien puisqu’il devait passer chercher Lynna à la bibliothèque. Du coup, il pouvait finir tôt et passer une soirée sans stress avec sa sœur. « Allez, je finirais de me battre avec les démons de l’administration demain. Bonne soirée tout le monde ! » lança-t-il joyeusement en attrapant sa veste et ses affaires. Il était six heure du soir. Moins d’un quart plus tard, il serait devant la bibliothèque. L’air était doux, le soleil commençait tout juste à laisser place à la nuit et le policier se sentait bien. Une soirée normale et agréable, comme il les aimait. Du moins jusqu’à ce que sa sœur ne réponde pas au téléphone, ce qui était inhabituel et l’était encore plus puisqu’elle l’attendait. Réessayant de l’appeler deux fois, Nathaniel commença à avoir un mauvais pressentiment. Il sortit alors de la voiture et se dirigea vers la porte principale, mais elle était fermée. Il se dirigea donc vers la sortie réservée au personnel. « Mais qu’est-ce que... !? » Par réflexe, le policier voulut sortir son arme mais il l’avait laissé dans la boîte à gant. Quel con ! se fustigea-t-il avant de lancer un « Arrêtez ! Police ! » Au moins avait-il gardé son insigne. Par oubli, certes, mais il l’avait sur lui. Le voyou menaçant sa sœur et une autre femme d’un couteau décida de se mettre à courir plutôt que de vérifier si le blond disait vrai ou non. Nathaniel se précipita vers les deux femmes. « Est-ce que ça va ? » demanda-t-il tout en vérifiant qu’elles n’aient pas été blessées. « C’est bon, on a rien. » affirma sa sœur. « OK, je vais le choper ! » fit-il en se relevant et en tapant son meilleur sprint dans la direction que l’agresseur avait prise. Couteau ou pas, il allait lui offrir un séjour en cellule. S’attaquer à sa sœur ou à ses parents étaient la première chose qui le rendait particulièrement énervé.

Un quart d’heure plus tard, le malfaiteur était à l’arrière d’une voiture de police en direction du commissariat. Une fois sûr et certain que cette histoire était close, Nathaniel vint passer un bras protecteur autour des épaules de sa sœur. Même si, au final, rien de grave ne s’était passé, le traumatisme était réel. Se retrouver face-à-face avec une lame en sortant du travail n’était clairement pas une expérience banale ou plaisante. Il se retourna alors ensuite vers la bibliothécaire. « Je suppose que vous êtes Céleste ? Nathaniel Ducain, inspecteur de police et grand-frère de Lynna. Vraiment désolé qu’on se rencontre dans ce genre de situation. » se présenta-t-il sur un ton assuré et à la fois avec douceur. « On devait passer la soirée ensemble avec Lynna. Vu les circonstances, ce serait peut-être une bonne chose si vous restiez avec nous. » S’il ne connaissait pas sa sœur, il pourrait presque croire que c’était elle qui avait manigancé tout ça. L’idée le fit sourire, tandis qu’il posait un regard rassurant sur la bibliothécaire qui lui faisait maintenant face. Et alors qu’elle posait ses iris sur lui à son tour, Nathaniel se rappela les paroles de sa sœur « c’est un canon de beauté ! » Pour le reste de ses qualités, il ne savait pas encore, mais ça, il était obligé d’admettre que c’était vrai. Il se perdit un instant dans la contemplation de cette magnifique blonde avant de se ressaisir. « A défaut d’un restaurant, j’essaierais de cuisiner sans mettre le feu à la baraque. » se reprit-il finalement en souriant. Lynna attrapa la main de Céleste et prit un air faussement affolé. « Par pitié, ne me laisse pas ! Je ne veux pas finir en brochette et on ne sera pas trop de deux pour fracasser la porte en cas d’incendie ! » Le policier leva les yeux au ciel. Au moins, maintenant la belle blonde s’avait à quoi ressemblait une partie des échanges entre le frère et la sœur Ducain lorsqu’ils décidaient de se taquiner mutuellement. Pour le reste, l’invitation était faite et il n’appartenait qu’à elle d’accepter ou de refuser. Même si, sachant par Lynna qu’elle habitait seule, Nathaniel se sentirait mieux de la savoir en sécurité avec lui, au moins pour ce soir.