Letty comprenait et profita de la soirée en essayant d’envoyer le plus de bonnes ondes possibles à James. Elle lui souriait, chantait, lui fit peut-être une ou deux grimaces, après tout, les amis c’était ainsi. Ils se taquinent, se sourient, s’embêtent, se disputent pour des broutilles et ça fini en éclat de rire. Alors elle s’amuse pendant le film, qu’elle adore et connait par cœur. Et elle apprécie de voir le bougon James. La fin du film, elle fit sa tête de fausse outrée alors que ses lèvres étaient toujours souriantes.

- C’est un chef d’œuvre, ce film continua à être vu par nos arrière-arrières-arrière-petits-enfants.

Elle se stoppa à peine. Elle ne voulait pas mettre autant d’arrière dans la phrase, mais elle avait simplement pas réussi à se décider à dire le mot « petits-enfants » pour avoir des petits-enfants, il faudrait qu’elle puisse en avoir un. Et elle ne serait jamais maman naturellement et elle n’avait pas la situation pour être maman adoptive. Elle n’aurait jamais de petits-enfants. Elle balaya ce constat d’un sourire alors qu’elle sentait encore la dague brûlante de cette perte dans son cœur. C’était stupide de pleurer pour des choses que l’on n’a jamais connu et senti. Elle n’avait jamais été enceinte. Elle pleurait et souffrait des enfants qu’elle aurait peut-être pu avoir. Elle n’en parlait à personne. Elle avait l’impression d’être ridicule. Pourtant, elle ne pouvait pas l’ignorer, sa souffrance était bien là.

Letty alla chercher ses cadeaux. Un peu gêné. Parce que c’étaient des cadeaux un peu pourris tout de même. La même robe de noël à la mère et un pull assorti à James. Un peu comme une famille qui s’habillerait de manière accordée. Elle pourrait peut-être le mettre au feu et leur trouver autre chose ? Un disque de musique pour James ? Mais il était tellement conscient du monde musical qu’elle ne voyait pas ce qu’elle aurait pu lui offrir. Letty observa le cadeau de l’homme.

- Il est beau ce tableau, fit-elle doucement, on dirait que tout le monde est pleinement heureux.

Elle ne pouvait pas savoir que c’était un véritable concert, ni que c’était un moment privilégié de James. Elle pouvait simplement voir que ce tableau faisait sourire et donc, elle sourit. C’était aussi simple que ça. Letty rougit quand on lui offrit un cadeau. Elle rougit vraiment sans savoir quoi faire de ses propres cadeaux qu’elle donna en se sentant un peu mal. Elle ouvrit l’écharpe et la mit tout de suite autour du coup, remerciant la femme avec un grand sourire alors qu’elle s’extasier sur la douceur du tissu. Ellee fit une accolade à la mère pour la remercier. Le second cadeau arriva et elle ne su quoi dire. Elle n’avait vraiment pas cru avoir des cadeaux. Ils lui avaient déjà fait le cadeau d’accepter de faire noël avec elle et de payer les décors. Ce qu’elle fit remarquer. Elle ouvrit et sourit de toutes ses dents quand elle vit le livre.

- Oh ! En plus je ne l’avais pas encore celui-ci ! Je pourrais même me vanter auprès de ma sœur qui ne l’aura pas eu à noël, je le sais j’ai aidé son mari à trouver son cadeau !

Machinalement, elle se leva et au lieu de l’accolade fit un bisou sur la joue de James pour le cadeau avant de se rassoir.

- Ne vous attendez pas à quelque chose de bien ouf pour moi hein …

Parce qu’elle n’avait pas offert un cadeau cher comme l’écharpe autour de son cou, qu’elle ne quitterait plus jamais, et le livre de soupe choisi pour elle par l’homme qui était devenu son ami. Comment aurait-elle pu savoir qu’il y avait plus, elle ? Elle n’avait aucun doute que les deux cadeaux étaient suffisants pour combler son cœur de joie.

Je fronçais les sourcils en l'entendant parler avec enthousiasme du tableau. Oui il était beau, je n'allais pas le nier. En d'autres temps je l'aurais certainement adoré. Je l'aurais accroché avec fierté dans mon studio. Ce souvenir avait toujours eu le don de me faire sourire, avant. Mais ce n'était plus le cas. Ca m'agaçait simplement que ma mère s'acharne ainsi à vouloir me faire retrouver le goût de vivre. Comme si me balançait mon ancienne vie au visage allait m'aider à aller mieux. Elle ne faisait que m'enfoncer un peu plus chaque fois qu'elle faisait ça. Je savais qu'elle allait l'accrocher quelque part, que j'allais être obligé de le voir tous les jours... Et par dessus tout ça, j'allais devoir supporter les commentaires de Laetitia sur le fait qu'il était très beau. Merci maman...

Je ris légèrement en le voyant s'exciter devant son livre de recettes. J'oubliais un peu le maudit tableau pour me concentrer sur la jeune femme. J'aurais préféré ne pas recevoir de cadeau du tout ce soir et juste profiter du bonheur des deux femmes. Surtout celui de Laeti...

- Moi qui avait fait ce cadeau comme une blague. Mais j'ai oublié à quel point tu étais fanatique des soupes.

Je laissais ma mère déballer le cadeau de Laetitia pour moi et je la remerciais. Le pull était absolument horrible mais l'attention était adorable. Je laisserais mes infirmières me le mettre pour le prochain jour où elle viendrait travailler. Ca lui ferait plaisir, c'était le principal.

Je fis signe à ma mère pour qu'elle prenne le dernier paquet et le donne à Laetitia.

- C'est celui là en fait ton vrai cadeau...

Je la laissais le déballer, un peu gêné. C'était un peu plus personnel comme cadeau. J'avais passé du temps sur les sites spécialisés pour trouver mon bonheur. J'avais réfléchi déjà à quelque chose qui pourrait lui faire plaisir. Pas un cadeau ordinaire mais quelque chose de spécial, qui pourrait lui donner le sourire. Quelque chose qui pourrait lui faire penser à moi quand... quand elle irait travailler ailleurs. Puis quand l'idée m'était venue j'avais mis encore plus de temps à me décider et à trouver LE modèle parfait. J'avais trouvé celui là, mais sans être certain de ce qu'elle aimait, de si il lui plairait ou non. Je savais qu'elle était folle de soupe, nulle en cuisine mais à part ça je ne savais pas grand chose de ses goûts.

- On peut l'échanger si tu ne l'aimes pas.

Cadeau:

Letty était heureuse. Vraiment. Mais elle ressentait quelque chose qui la dérangeait émaner de son ami… Comme s’il était triste, lui. Et ça, c’était comme mettre un radiateur en pleine hiver sur une terrasse de café. On avait envie de s’y mettre dessous pour y faire n’importe quoi. Elle avait envie d’être proche de James et qu’elle sente sa joie, qu’il puisse puiser en elle, s’il le voulait… ou plus exactement, elle espérait qu’il prenait ce qu’elle pouvait donner.

- Fanatique ? s’étrangla-t-elle puis se stoppant un instant, bon je l’avoue. On va dire que c’est ce qui fait mon charme. Certains sont fous de …. ACDC et moi de soupe.

Elle avait cherché dans leurs leçons le nom d’un groupe dont elle savait qu’il y avait des fans partout. ACDC, elle était sûr d’avoir déjà vu au moins deux personnes avec un tatouage avec ses lettres là… Bien sûr, à l’époque, elle se fichait de leur explication. Maintenant …et bien elle savait et sourit comme une heureuse de pouvoir « étaler » sa science musicale. Elle rougit quand elle reçut un second cadeau. Elle avait l’impression qu’il était plus solennelle … plus … profond, et cela avant même de déballer. Elle planta son regard vers James. Elle sourit et l’ouvrit et resta choqué.

Elle … elle ne s’attendait pas du tout à ce genre de présent de la part de James mais elle sentit une douce joie envahir son cœur. Elle releva la tête vers lui et elle se dit qu’il l’avait clairement cherché. Elle s’approcha et le prit dans ses bras, sa tête contre la sienne pour lui faire un autre bisou sur la joue. Elle se recula alors qu’elle était émue. Vraiment.

- Il est parfait. Merci James. Je …

Elle n’avait jamais de bijoux sur elle. Parce qu’elle était comme ça. Elle ne se pensait pas assez délicate pour porter des objets comme cela. Elle ne savait pas comment les choisir. C’était toujours trop gros, trop petit, trop pas pour elle. Mais le collier, celui-là, et était parfait. Elle lui fit un autre bisou en rajoutant un merci avant se rassoir et de le sortir de sa boîte. Elle tremblait un peu, peur de l’abimé rien qu’à le regarder.

- Vous voulez bien … demanda-t-elle à la mère en lui présentant le fermoir.

Elle était tellement contente qu’elle avait dû mal à ne pas trembler encore alors qu’elle toucha le délicat pendentif sur sa poitrine. Il était magnifique. Il était assez petit pour être discret mais assez gros pour être vue. Il était beau. Délicat. Et elle avait l’impression qu’il la représentait bien. Et elle n’avait jamais eu de bijou de sa vie. Rien dont elle tenait. Elle fit encore un sourire.

- Promis, le prochain noël, je ferais quelque chose de beaucoup mieux pour toi, moi aussi !

Parce que pour elle, elle avait le temps de lui montrer sa gratitude. Elle avait 365 jours pour trouver une super méga idée qui puisse faire naître la même chaleur que ce qu’il avait fait. Et elle y arriverait !

- Queen, pas ACDC, même si j'aime aussi beaucoup ce qu'ils font. C'est impossible de parler de rock sans parler de l'influence qu'ils ont eu sur le monde de la musique. Ca sera le thème de ton prochain cours d'ailleurs. Un peu d'ACDC dans ta vie, pour contrebalancer un peu toute la mièvrerie de noel.

Je souris en voyant sa réaction à la vue du collier. Ca valait le coup que je passe autant de temps à faire des recherches pour trouver le collier parfait. J'étais moins fan des bracelets. Je trouvais plus beau d'habiller ainsi le décolleté d'une femme. Et elle le portait à merveille.

- C'est très joli. Il te va très bien.

Je perdis cependant mon sourire en l'entendant parler du noel prochain. Il n'y aurait pas d'autre noel pour moi. Celui ci allait être le dernier, je le savais. J'avais fait en sorte qu'il soit agréable pour les deux femmes à qui je tenais. Je pouvais partir l'esprit un peu plus tranquille. J'aurais au moins réussi à faire ça de bien.

"Bon... il se fait tard. Et j'ai un peu trop bu. Laetitia je ne veux pas te renvoyer mais je crois que je vais aller mettre James au lit."

Je fis un sourire ironique à Laetitia en entendant ma mère dire ça.

- Il est temps pour bébé de se faire border. Merci en tout cas pour cette soirée. Tu as presque réussi à me faire apprécier Noel.

Presque, tout ce qui m'avait permis d'apprécier cette soirée c'était de voir ses sourires de joie, les débordements qu'elle avait eu en venant embrasser ma joue pour me remercier. Sans ça, ce noel n'aurait vraiment pas valu le coup.

Je lui souris une dernière fois avant de m'en aller dans ma chambre. Ma mère resta un peu plus longtemps, serrant rapidement Laetitia dans ses bras et la remerciant d'être venu ce soir. Je laissais ma mère me rejoindre et refermer derrière moi et se livrer à ma corvée. Je subissais sans rien dire, souffrant en silence tandis que ma mère parlait avec excitation de la soirée, complimentant Laetitia. Se fut le seul moment où je desserrais les lèvres, pour confirmer ce qu'elle disait. Oui elle était adorable...

Je laissais la magie de noel retomber toute seule. J'avais fait écouter Back in Black à Laetitia avec un plaisir non feint. C'était bien loin des chants de noel et compagnie. Mais c'était des classiques qu'elle se devait de connaitre, elle qui était si ignorante en matière de musique. J'étais quasiment certain qu'elle n'aimerait pas. Ce n'était pas son genre. Elle ne s'y connaissait pas assez en musique pour apprécier les rifts de guitare.

J'attendis que le nouvel an soit passer pour lui parler. J'étais installé devant la baie vitrée ce jour là, contemplant la neige qui virevoltait au gré du vent. J'entendis ses pas derrière moi et sa voix joyeuse résonner dans le petit salon. Je ne la saluais pas, me contentant de lâcher ma bombe.

- Il faut que je te parle...

Queen, nota-t-elle quelque part dans son esprit. James aime Queen. Alors Queen devait être forcément le meilleur groupe du monde. Elle le décida ainsi en tout cas. Elle nota qu’elle devait écouter plus encore. Apprendre plus. Elle aimait tellement apprendre avec lui. Après la journée de Noël, elle se prit un nouveau tic, caressant son collier quand elle se sentait heureuse. Elle se disait que le monde était vraiment bien. Que le monde était vraiment cool. Et qu’elle était heureuse d’être en vie. James lui mettait toujours le sourire, parfois malgré lui. Elle aimait le voir avec ce pull horrible. Elle aimait le voir bougonner avec ce pull horrible aussi. Puis, elle avait un « presque » à changer. L’année prochaine, elle allait clairement lui faire apprécier Noël.

Donc, comme tous les jours, l’habitude aidant, elle rentra dans la pièce en sautillant pratiquement, chantonnant, marchant, voulant simplement sourire puis, elle tourna la tête vers James. Elle s’approcha de l’homme et s’accroupit comme une enfant pour finir par se mettre en tailleur. L’action aurait pu passer pour drôle ou enfantine… mais il y avait quelque chose dans les délicats très de James qui ne lui plaisait pas. Elle l’observa et frotta son ventre.

Parfois le stress lui donnait l’impression que les cicatrices étaient en train de lui bruler. Ou simplement de chauffer. Elle avait compris depuis le temps que ce n’était que dans sa tête, seulement dans sa tête … mais elle ne pouvait pas s’empêcher de toucher à son ventre pour essayer d’en déloger l’impression désagréable qui y couver.

- Je t’écoute…. Si tu veux me dire que la soupe que j’ai laissée hier a encore des morceaux dedans, c’est normal ! C’est une soupe de vermicelle, et c’est très bon… On peut écrire des messages avec les lettres.

Elle n’aimait pas du tout le visage de James. Elle avait envie de l’empêcher de parler pour une raison qui la dépasser. Elle était revenue sur le fait qu’elle avait envie de l’embrasser depuis longtemps. Elle aimait James sourire et elle se demandait stupidement comment il donnait ses baisers. Elle gardait ça en tête parfois quand elle le regardait parler et rougissait simplement … mais là… Là c’était autre chose. Elle voulait plaquer ses mains sur ses oreilles avec l’impression qui se faisait dans la pièce.

Je lâchais un petit rire en l'entendant parler de sa soupe de la veille.

- Je n'y ai absolument pas touché. Alors je n'avais aucune idée qu'il y avait des vermicelles dedans. C'est pas un truc pour les gosses ça d'ailleurs? Passé un certain âge c'est pas interdit par la loi de manger des trucs comme ça?

Je lui souris avant de reprendre un air plus sérieux. Je n'étais pas parti pour plaisanter sur ses soupes à la base. Elle avait du le sentir, que l'ambiance était un peu plus lourde, plus sérieuse. Ca avait été sa façon à elle de détendre l'atmosphère, d'éviter le sujet peut être un peu aussi. Je savais qu'elle n'allait pas aimer ce que j'allais lui dire, qu'elle ne comprendrait pas. Mais il fallait qu'elle le sache. Je ne voulais pas qu'elle le découvre le moment venu. Elle se sentirait encore plus trahie. Je préférais qu'elle encaisse le choc maintenant, qu'elle ait le temps de s'y faire. Et quand viendrait le moment... elle serait un peu plus préparée à y faire face.

- Je voulais te parler de quelque chose. J'y ai pensé à Noel mais ce n'était pas le moment. Je ne voulais pas gâcher la fête de tout le monde.

On ne parlait pas de ces choses là quand on était sensé se réjouir et faire la fête. Mais je ne pouvais pas repousser indéfiniment cette discussion. Il était temps que je l'affronte, que j'affronte ses larmes, sa colère, son incompréhension...

- C'était mon dernier noel Letty... Il n'y en aura pas de prochain pour moi. J'ai entamé les démarches auprès d'une clinique spécialisée en Suisse. Dans quelques mois je partirais là bas pour avoir recours au suicide assisté. Je ne reviendrais pas...

C'était peut être violent dit comme ça, mais je ne voyais pas comment le dire autrement. Il était inutile que je tourne autour du pot pendant des heures. Il fallait que j'en finisse au plus vite avec cette discussion.

- Je ne te demande pas de me comprendre. Tu ne le peux pas. Tu ne peux pas savoir ce que c'est que d'être enfermé dans son propre corps, de ne plus être libre de rien, de ne pas pouvoir faire le moindre mouvement sans aide. Ma vie est un enfer sans fin... il n'y a aucun espoir d'amélioration pour moi. Je suis condamné à vivre chaque journée dans la souffrance. Et je n'y arrive plus Letty... Je veux que tout s'arrête...

Ma voix ne tremblait pas en disant tout ça. Pas de larmes dans mes yeux. J'en avais déjà beaucoup trop versé. J'étais seulement las, las et fatigué de cette vie...

Parler de la souper. Il fallait parler de la soupe. Elle voulait sourire et lui dire que la loi obligé les enfants à en manger, et qu’il suffisait simplement de prouver que personne n’avait jamais noté, légalement, d’âge à l’enfance. Ce qui était vrai. Ses études et son travail l’avaient prouvé, l’âge ne faisait pas l’enfant, c’était l’état psychologique qui le faisait … et si on pouvait être un adulte avec une âme d’enfant (ou l’inverse) et il était rare d’être un enfant avec un âge adulte. Mais même ça, c’était préférable à la tension qu’elle ressentait … et ça ne lui disait rien qui vaille. Ses cicatrices la démangeaient. Elle respira doucement alors qu’il reprit la parole sans une blague de sa part. Pas habituel. Étrange. Letty avait envie de pleurer et elle ne savait même pas encore pourquoi. Assis en tailleur sur le sol, elle attendait la douloureuse.

Ne pas gâcher Noël ? James souffrait de quelque chose à Noël et elle ne le savait pas. Sa main plaquait sur son ventre frotta plus fort, à peine, de quoi lui rappeler qu’elle était bien là, présente en cet instant. Et ensuite le couperet tomba. Elle l’écouta parler, sans émettre le moindre son. Sa main arrêta de frotter avec sa peau et se mit à gratter. Elle avait l’impression que la démangeaison empirée. Elle voulait dire « NON ». Lui crier dessus, le prendre dans ses bras et le supplier, le regarder méchamment en lui disant qu’il n’était qu’un imbécile. Elle voulait lui dire de ne plus parler, de se taire. Elle ne voulait pas l’entendre. Elle ne voulait pas l’écouter. Elle ne voulait pas comprendre les mots qui sortaient de sa bouche.

Parce qu’ils étaient véridiques. Ce n’était pas une grossière blague qu’il était en train de lui faire pour une caméra caché, ce qu’elle préférerait d’ailleurs, c’était la vérité. La vérité horrible, douloureuse, tranchante. Elle allait vomir. Elle se leva sans rien dire et parti vomir. Elle n’avait pas trop mangé, et son rendu était mélangé à ses larmes qu’elle n’avait pas remarqué. Pourtant elles devaient couler depuis un moment. Elle remonta son t-shirt pour voir l’état de son ventre qu’elle avait griffé. De grosses marques rouges faites de ses griffures et de ses veines éclatées si trouver.

Elle s’essuya, la bouche comme les yeux et se retourna s’assoir au même endroit qu’elle avait quitter. Se grattant encore, elle arrêta et plaqua ses deux mains sur le sol. C’était ça, ou les claquer sur le visage de James. Elle était en colère ? Elle ne sait pas. Oui. Mais aussi triste. Mais aussi apeuré. Elle avait peur. Elle était tétanisé à l’idée de le perdre. Elle savait qu’elle ne serait pas son employé pour toujours … mais il avait dit qu’elle était son ami, elle comptait continuer à venir. Tétaniser la prochaine personne qui s’occupera de lui, avec lui. L’écouter parler, l’écouter lui apprendre. Elle remonta les yeux vers lui, perdu et … trahi. Pas par lui. Par la vie. Cela faisait deux fois qu’elle pensait connaître un bonheur un peu bancal, certes, mais un bonheur et qu’on venait lui arracher. Elle sentit les larmes remontait à nouveau, la bile aussi, et ses lèvres tremblaient de ce qu’elle devait dire.

- Il y a toujours un espoir. Toujours. Une raison de …de …, et sa voix dérailla alors qu’elle s’approcha à quatre pattes de lui pour mettre sa tête contre ses jambes.

Rien à foutre qu’il ne veuille pas. Il n’avait pas le droit de lui faire ça, alors elle avait le droit de faire ce qu’elle veut pour survivre à ça. Elle aussi, elle pensait ne plus pouvoir vivre. Quand on lui a expliqué qu’elle n’aurait jamais d’enfants, elle détestait son corps. Elle détestait être coincé sur Terre et ne jamais avoir l’occasion d’aimer un être. D’être appelé « maman ». Elle détestait l’idée de devoir aider des enfants dont les mères n’étaient que des moins que rien qui blessaient leur progéniture. Combien d’enfants étaient-ils passés dans l’association ? Combien d’enfants dont la mère ou le père, ou les deux, s’amusaient à leur faire du mal ? Combien de ses enfants auraient-elles rêver d’adopter pour les protéger et les aimer, et ne jamais JAMAIS leur faire du mal ? Elle en avait tellement vue, et elle rêvait d’un enfant, et jamais elle n’aurait eu à le blesser. Son enfant avant tout le monde. Son enfant avant la terre. Et la perte de ce futur l’avait fait détester tout ce qu’elle était. Enfermé dans son corps. Elle pouvait comprendre. Même si lui ne pouvait pas deviner de quelles manières.

- Far too young to die, souffla-t-elle en se relevant doucement, les joues baignant dans ses propres larmes pour le regarder droit dans les yeux avec une nouvelle détermination, j’ai quelques mois pour être ta chanson.

La chanson qui l’avait empêché de mourir. Elle lui avait dit, sans lui expliquer, que Far toi Young to die l’avait sauvé. Il ne savait pas comment. Elle n’en avait jamais parlé. Mais cette chanson l’avait empêcher de mourir. En lui rappelant qu’elle pouvait aider d’autres enfants. Que l’on pouvait… Oui, on peut.

- Laisse-moi essayer, au nom de notre amitié, laisse-moi essayer de te trouver un autre commencement. Différent. Une ou tu devras me supporter encore. Tu devras me voir et ne pas tiquer quand je me trompe de chanteur dans un groupe, ou de musique à un album, ou que je chante mal. Pitié … Je t’en supplie… Laisse-moi essayer.

Elle ne pourrait vivre sans avoir essayer. Elle ne savait même pas si elle pourrait vivre en ayant essayer et échouer. Elle le regardait, avec des larmes qui coulaient toujours. Bah tant pis. Elle n’arrivait pas à penser à des idées et à se retenir de pleurer en même temps. Elle choisissait ses missions.

Sa réaction était plus ou moins prévisible. Comment serait il possible d'espérer qu'elle prenne bien le fait qu'il venait de lui annoncer son suicide prochain. Tout le monde était comme ça, c'était une réaction humaine. On voulait toujours empêcher les autres de se faire du mal. A moins d'être un psychopathe tueur en série. On ne pouvait pas rester insensible à la mort de quelqu'un. Et surtout pas quelqu'un comme Letty. Elle était profondément humaine. Elle avait toujours voulu aider les autres. Et elle avait fini par s'attacher un petit à moi. Ca lui faisait mal de savoir que bientôt je ne serais plus. Je ne lui parlerais pas de mes projets après ma mort, de la somme que je comptais lui léguer pour qu'elle puisse retrouver son association. Elle refuserait certainement mon geste. Parce qu'elle ne voudrait pas du fric, qu'elle me voudrait en vie. Alors je ne dirais rien....

Je la laissais partir, essayer de se remettre de ses émotions. Je l'entendis vomir dans la salle de bain avec un soupir de tristesse. Je restais planté là, incapable de bouger, incapable de la prendre dans mes bras pour la consoler. Je ne pouvais rien faire et ça me tuait un peu plus de savoir ça.

Puis elle finit par revenir, des larmes encore pleins les yeux. Elle s'approcha de moi, posant sa tête sur mes jambes. Elle aurait pu la poser sur un morceau de bois que cela aurait eu le même effet. S'en rendait elle seulement compte? J'étais incapable de lui donner le moindre geste d'affection alors qu'elle en avait tellement besoin. Ca faisait mal... ça me faisait mal de ne pas pouvoir la serrer dans mes bras à cet instant, de ne pas pouvoir serrer ma mère pour lui souhaiter un joyeux noel. Ne plus pouvoir sentir la chaleur et l'amour de ses proches...

Je grimaçais en l'entendant parler de la chanson que j'avais écrite. Me ressortir mes propres textes pour me convaincre de ne pas me suicider c'était plutôt bas. Elle ne le savait pas bien entendu, mais ça restait douloureux. Oui j'avais écrit ça à une époque. Oui j'étais certainement trop jeune pour mourir. Mais j'étais déjà mort. J'étais mort le jour de mon accident. Je n'étais plus qu'une coquille vide, une âme brisée dans un corps qui ne fonctionnait plus.

- Tu peux essayer...

Je n'allais pas lui enlever ça. Si se raccrocher à cet espoir lui faisait du bien... C'était un espoir fou mais je n'avais pas la force de le lui refuser.

- Mais c'est peine perdue. Je tiens à te prévenir. A moins que tu n'arrives à me rendre mon corps, je ne vois pas pourquoi je continuerais à vivre ainsi...

Je me détournais, lui faisant comprendre que la discussion était terminée. J'allais m'enfermer dans mon bureau pour retrouver un peu mes esprits. Je voulais lui laisser le temps de se calmer, d'encaisser tout ça.. Il faudrait bien qu'elle s'y fasse...

Elle tremblait… l’inverse aurait été étonnant. Tout son corps était secoué de tremblement alors qu’elle essayait de faire sa brave. De le regarder dans les yeux et de lui dire tout ce qu’elle ne pouvait pas dire. James était James. Elle sait bien qu’il n’a pas toujours été comme ça … mais son coeur aimait cet homme super gentil, et intelligent, et plein d’esprit. Elle aimait être son ami, lui sourire, le faire sourire. Elle aimait être auprès de lui. D’une certaine manière, il l’avait aidé bien plus qu’elle ne le faisait tous les jours. La perte de l’association lui avait fait perdre la raison qu’elle se donnait d’avancer. Sans, elle ne pouvait même plus aider les enfants qui en avaient le plus besoin. Alors elle était déterminé. Parce qu’elle ne pouvait pas vivre dans un monde où il ne serait pas là. Il avait fait en sorte qu’elle ne déprime pas, ne se sente pas inutile, il lui avait donné un but, et il l’ignore complètement.

Et il était son ami.

Son coeur tambourinait dans sa poitrine et elle le laissa partir. L’arrêter aurait été stupide. Elle ne pouvait pas et se plia une fois hors de sa vue pour respirer. La main sur le sol, elle n’arrivait plus à respirer. Elle ne pouvait plus respirer. Elle pleurait encore plus fort mais essayait de le cacher en plaquant ses mains. L’idée que l’homme disparaisse de sa vie lui était intolérable. Et dans tout ça, elle se sentait égoïste et méchante. Parce qu’elle ne voulait pas le garder en vie pour lui ? Si, aussi. Mais parce qu’elle le voulait en vie pour « eux ». Pour cette entente entre eux, cette amitié qui faisait tellement de bien à la vivre. Elle ne pouvait pas supporter l’idée qu’il disparaisse et elle aimerait tellement le rendre heureux. Le voir envie de se réveiller tous les matins. Même immobile, cet homme était meilleur dans son petit doigt que certaines personnes dans leur corps tout entier. Elle toucha son ventre et gratta, sentant la blessure. Heureusement son haut était sombre et même si des taches rouges se faisaient elles ne se verront pas.

Elle ne pouvait pas le laisser mourir. Si seulement elle pouvait lui donner tout. Elle n’était même pas riche elle. Elle ne pouvait qu’être là. Donc, elle se sentait égoïste, méchante et inutile alors qu’elle s’écroula un peu plus sur le sol. Elle finit par se calmer en prenant un verre d’eau. Elle lava aussi ses joues. Puis, elle cria à la porte de James.

- J’y arriverais ! Crois-moi, et je serais ta chanson.

Elle serait sa chanson. Doit-elle en oublier de manger et de dormir. Elle devait trouver une idée. Et une bonne idée. Bon… d’abord comprendre son histoire. Lui donner un corps, elle veut bien, mais pour ça, elle aurait besoin de comprendre comment il ne pouvait plus bouger. Elle faisait des études sur la psychologie des enfants, ainsi commença-t-elle ses recherches sur ceux qui ont réappris à manger, par la force du mental. Parce que le corps suit la tête. Comme la grossesse nerveuse qu’elle avait fait juste après le constat qu’elle ne pourrait pas être enceinte. Le corps suit parfois le psyché. Parfois non. Mais elle devait commencer quelque part.

Elle ne lui parla pas de la journée, lui laissant le temps, à lui aussi, de se faire à l’idée. Plusieurs fois, elle se força à chanter pour qu’il l’entente. Des petites paroles, que de chanson qu’il lui avait fait découvrir. Pas un refrain, des phrases de motivation, positif. D’amour et de renouveau. Quand il fut l’heure de se séparer, elle toqua à la porte et soupira en caressant cette barrière.

- James… Je sais que je ne pourrais pas comprendre, pas comme tu le penses en tout cas… mais je sais aussi que … tu penses être rien ainsi, inutile, ou même « mort » je crois. Je ne suis pas sûre. Mais… Moi celui que je connais, c’est le James actuel. Celui qui est devenu mon ami. Celui qui arrive à me faire comprendre ses sentiments sur son visage sans le moindre mot. C’est « toi » et … Merci.

Elle soupira doucement.

- Merci, malgré ta douleur… d’avoir accepter de me laisser essayer.

Il pensait qu’elle n’y arriverait pas. Elle avait des doutes aussi. Mais la laisser essayer c’était prouver, une nouvelle fois, sa grandeur d’âme… Ce qui donnait encore plus envie à Letty d’essayer et de donner tout ce qu’elle a !

Je ne répondis pas quand je l'entendis frapper à ma porte et parler au travers. Elle ne voulait décidément pas comprendre et même si elle essayait sincèrement de le faire, elle ne le pourrait pas. Elle voyait les choses de son point de vu à elle. J'étais quelqu'un d'intéressant à ses yeux. J'avais une certaine culture que je prenais plaisir à lui faire partager, un certain sens de l'humour aussi qui avait le don de la faire sourire. Je n'étais sûrement pas qu'un handicapé à ses yeux mais une personne à part entière, une personne qu'elle appréciait. Et ce n'était pas ça le problème. Ce n'était pas vraiment le fait de se sentir inutile qui coinçait. Parce que je savais que je pourrais ne pas l'être aux yeux des autres. Je continuais de bosser sur le prochain album du groupe. J'étais toujours capable de créer de belles mélodies, des chansons que mettraient en sonnerie des filles comme Letty. Non le problème n'était pas là, c'était tout ce que je ne pouvais pas faire et la souffrance que ça engendrait en moi chaque jours.

Parce que je composais des chansons mais que je ne pouvais plus me poser devant un piano, laissant mes doigts courir sur les touches blanches et noires, les sentir vibrer, ressentir la musique que j'étais entrain de créer faire résonner tout mon corps. Parce que j'écrivais des textes que plus jamais je ne pourrais chanter, que je ne pourrais plus ressortir ces mots qui étaient venus du fond de mon coeur et les ressortir avec mes tripes, mettant un peu mon âme à nu en chantant ainsi. Parce que je créais un album que je ne pourrais jamais chanter sur scène, je ne pourrais plus jamais revoir le public vibrer à l'unisson avec moi, avec mon groupe, sentir cette alchimie, ce moment d'extase complète et le torrent d'émotions qui m'envahissaient quand le public reprenait mes mots à l'unisson.

Et il y avait tout le reste... je pouvais dire à ma mère combien je l'aimais mais je ne pouvais plus la serrer dans mes bras, essuyer les larmes qui avaient coulé sur ses joues à cause de moi. Je ne pouvais plus m'installer sur la terrasse avec le groupe, une bière dans une main et une guitare dans l'autre nous amusant à jouer des airs sans aucune prétention, voir ma mère arriver à ce moment là et rire de nos bêtises, voir leurs compagnes venir s'asseoir au milieu de nous avec un tendre sourire. Je n'aurais jamais eu la chance d'avoir une femme assez longtemps dans ma vie pour qu'elle puisse vivre ces moments.

Parce que s'il y avait une femme un jour dans ma vie, jamais je ne pourrais la rendre heureuse. Je ne pourrais pas la serrer dans mes bras, la faire danser à notre mariage. Je ne pourrais pas lui faire l'amour et lui montrer ainsi, simplement, à quel point je l'aimais.

Jamais je ne pourrais faire tout ça, pas plus que je n'étais capable de me gratter le nez seul, d'aller pisser et chier ailleurs que dans une poche, manger sans qu'on me nourrisse comme un gamin.

Alors pour tout ça, pour toutes ces raisons qu'elle ne comprenait pas. Je ne pouvais plus vivre...

Pourtant les jours suivants elle s'acharna à faire en sorte de me donner les sourires. Elle cherchait à combler le moindre de mes désirs et je l'avoue j'en avais honteusement profité. Je l'avais envoyé courir dans toute la ville pour chercher un donut au parfum bien particulier. Puis quand elle était arrivé avec j'avais décrété une nouvelle envie de sushi qu'elle avait du aller chercher dans la ville voisine. Je m'étais amusé avec mes demandes à la con pendant quelques jours avant de finalement arrêté. Elle avait vraiment de l'espoir en agissant ainsi alors qu'elle n'arrivait à rien à part me faire rire amèrement.

Alors ce matin là je ne lui avais rien demandé, restant juste planté devant la baie vitrée sans rien dire.