Tant que Tom chante, je n'ai aucune difficulté à jouer. Je me laisse aller, comme je le fais avec mes pinceaux. Ce n'est certainement pas parfait, mes doigts sont encore un peu trop raides. Mais cela semble le satisfaire suffisamment pour qu'il nous enregistre tous les deux.

– Il faudra le rejouer, bien sûr. Peut-être même directement connecté à l'ordinateur ?

J'acquiesce simplement, le laissant regarder les connectiques du synthétiseur sans doute pour s'assurer que ce dernier est bien compatible avec son ordinateur. Il ne date pas d'hier, mais je sais que Martha s'était ruinée pour me l'offrir … Aujourd'hui, je m'en veux un peu de l'avoir laissé de côté. Mais à l'époque, je n'étais certainement pas prête à retoucher un clavier. Je n'étais alors qu’une adolescente mal dans sa peau qui venait de découvrir les bienfaits de la peinture. Il n'y avait, dès lors, plus que cela qui comptait à mes yeux.

– C'est décidé, je t'embauche, déclare-t-il en se rasseyant à mes côtés.

Je viens alors me lover contre lui en faisant très attention à ce bras qu'il malmène plus qu'il ne le devrait.

–On va monter un groupe. Toi, Jeff et moi. Reste juste à trouver le nom du groupe. Et ça ne pourra jamais être pire que les Halo N Back. C'est Jake qui avait choisi. Soit disant que ça faisait mystérieux et moderne.

Consciente qu'il s'agit là d'une plaisanterie, je me permets d'éclater de rire.

– Tu sais que je n'ai toujours pas compris ce que ce nom signifie en réalité ? Si c'est ça la part de mystère alors… On peut dire que c'est réussi.

Je dépose un bref baiser sur ses lèvres puis m'en retourne vers le clavier. J'y joue une vieille chanson de mon père, celle que je lui ai chanté une fois. Heureusement, ma mémoire n'a aucunement été affectée par mon accident. Je ne joue pourtant pas le morceau en entier…

– Au fait, tu disais que tu attendrais la venue de ton père, ça veut dire qu'ils ont accepté l'invitation pour les fêtes ?

Emily éclate de rire quand je lui propose de monter un groupe avec Jeff et moi. Et je ris avec elle.
Non pas que ça me dérangerait, au contraire. Mais nous savons elle comme moi qu'elle n'est pas faite pour ce métier.

Puis j'évoque la nécessité de trouver un nom à ce groupe, avec quelque chose de plus original que celui que je viens de quitter.

"– Tu sais que je n'ai toujours pas compris ce que ce nom signifie en réalité ? Si c'est ça la part de mystère alors… On peut dire que c'est réussi."

Je renifle avec amusement.

"– Un jeu de mot vaseux entre 'Hell and back' and 'Halo and Black'. Ne cherche pas. Comme je te disais, c'est Jake qui l'a choisi. Le groupe a eu plusieurs noms. Notamment 'Jeff and the band', durant quelques semaines. Jeff avait insisté. Et puis nous nous étions mis d'accord sur 'Echo' avant que Jake n'insiste pour qu'on le change. Paraît-il que ça n'était pas assez vendeur."

Je fais une grimace.
J'aimais bien 'Echo'. Maintenant ce nom a comme un goût de nostalgie pour moi.

"– Il faudrait que je vois avec Jeff comment nous allons nommer notre duo."

Je souris.

"– Je sens que la discussion va être longue."

Je réponds au baiser qu'Emily dépose sur mes lèvres. Lorsqu'elle se réinstalle au piano, je ferme les yeux, et me laisse porter par la musique.
Je reconnais cette chanson, et murmure l'air de cette dernière, sans pour autant me souvenir des paroles.

J'ai gardé précieusement le carnet qui contient les chansons de son père. Mais je n'ai pas encore pris le temps de les apprendre. Cela fait partie de mes projets pour ces semaines plus calmes. En tout cas, je ne risque pas de les apprendre à la guitare.

Je suis déçu lorsqu'elle s'arrête de jouer.

"– Tu pouvais continuer, tu sais ?" je déclare d'une voix douce.

Mais peut-être n'a-t-elle pas envie d'aller plus loin. Pas aujourd'hui.

"– Au fait, tu disais que tu attendrais la venue de ton père, ça veut dire qu'ils ont accepté l'invitation pour les fêtes ?"

Je me sens vraiment bête de ne pas avoir abordé le sujet avec elle.

"– Oh. Oui, désolé", je bafouille. "J'avais complètement oublié. Ils arrivent la veille de Noël et ils repartent le 29. Ils ont préféré réserver une chambre à l'auberge. Soit-disant qu'ils ne voulaient pas empiéter sur notre intimité."

Mon père m'a d'ailleurs longuement taquiné à ce sujet.

"– Ils préfèrent repartir en Californie pour fêter la nouvelle année", je poursuis. "Ils ont l'habitude de se retrouver avec des amis."

Je me penche pour l'embrasser.

"– Tu m'auras donc juste pour toi pour le nouvel an", je souris. "Enfin, toi et Lucy", j'ajoute.

J'enchaine quelques accords sur le piano, plus pour essayer de m'exercer que pour réellement créer une musique particulière.

"– Je ne m'attendais pas à ce que Lucy m'accepte aussi facilement", je ris ensuite. "Parfois je me dis qu'elle attend juste le bon moment pour me mettre dehors et m'annoncer très clairement que je ferais mieux de rentrer chez moi."

– Oh. Oui, désolé. J'avais complètement oublié. Ils arrivent la veille de Noël et ils repartent le 29. Ils ont préféré réserver une chambre à l'auberge. Soit-disant qu'ils ne voulaient pas empiéter sur notre intimité.
– Et bien… Voilà qui est très délicat de leur part, je suppose, je pouffe en songeant que cette maison est probablement beaucoup trop petite pour accueillir tout ce monde, dans tous les cas. Il va nous falloir leur trouver des cadeaux.

Je ne m'offusquerai certainement pas de leur choix de passer le nouvel an avec leurs amis. D'ordinaire, je ne suis pas du genre à célébrer ce genre d'événement non plus, d'ailleurs :

– Lucy ne sera pas là non plus. Une fête chez un ami artiste à New York apparemment. Elle ne m'a rien dit de plus. Nous serons donc seuls ce soir là.

Même Sean ne sera pas là. S'il a accepté de faire l'effort pour le réveillon de Noël, je sais que le soir de la saint sylvestre, il préférera rester bien au chaud dans son lit devant un vieux film avec John Wayne. C'est une sorte de petite tradition personnelle qu'il aimait respecter.

– Je ne m'attendais pas à ce que Lucy m'accepte aussi facilement. Parfois je me dis qu'elle attend juste le bon moment pour me mettre dehors et m'annoncer très clairement que je ferais mieux de rentrer chez moi.
– Qui sait ? je souffle en riant. Connaissant Lucy, c'est une possibilité.

J'exagère un peu en disant cela. Après tout, si mon amie reste très méfiante à l’égard de mon compagnon, elle est aussi très heureuse de me voir m'ouvrir à une vraie relation. Certes, celle-ci évolue peut-être un peu trop rapidement pour tout le monde… Mais au fond, je ne suis pas certaine que cette dernière résiste longtemps à la distance et à l'emploi du temps de Tom.

– Ne t'en fais pas, tant que tu restes gentil avec moi… je murmure en posant mon front contre le sien. Elle le sera envers toi.

Je ne résiste aucunement à l'envie de l'embrasser. J'ai besoin de sentir ses lèvres sur les miennes…

– Et puis… Tu es ici chez toi maintenant. Enfin, si te le souhaite.

"– Il va nous falloir leur trouver des cadeaux."
"– Déjà fait, pour ma part", je rétorque avec un sourire. "Mais je t'aiderai à leur trouver quelque chose, si tu me donnes des idées pour Lucy et Sean."

Il nous reste encore deux grosses semaines avant ça, mais je sais que Noël arrivera finalement très vite.

"– Ca te dira une petite virée shopping un de ces jours ? A Portland, ou à un autre endroit. Nous pourrions prendre mon pick-up, et passer la journée ensemble.  Juste nous deux."

En parlant de mon pick-up, je réalise que je n'ai pas encore pris le temps d'aller y jeter un œil. J'ai payé pour les réparations par virement bancaire, mais il serait tout de même bien que je passe voir Barry, ne serait-ce que pour le remercier.

Vis à vis du nouvel an, je suis ravi d'apprendre qu'Emily et moi seront seuls.

"– Je prévois donc une tenue de gala, du champagne, des bougies et des roses ?" je plaisante. "Ou es tu plutôt du genre à passer la soirée en pyjama sous une couverture ?"

Lorsque je mentionne mes doutes vis à vis de Lucy, la réponse d'Emily ne me rassure pas vraiment.

"– Qui sait ? Connaissant Lucy, c'est une possibilité."

Le rire qui m'échappe ensuite est teinté d'une certaine nervosité.

"– Ne t'en fais pas", ajoute-t-elle ensuite. "Tant que tu restes gentil avec moi…  Elle le sera envers toi.

Elle pose son front contre le mien, et je soupire d'aise.

"– Tu sais déjà que je suis gentil avec toi", je raille avant qu'elle ne m'embrasse.

Ma main valide vient se perdre dans ses cheveux, caressant lentement ces derniers.

"– Et puis… Tu es ici chez toi maintenant. Enfin, si tu le souhaites."
"– Bien sûr que je le souhaite", je lui réponds aussitôt.

Je capture ses lèvres, l'embrassant lentement, prenant le temps d'approfondir ce baiser.

"– Est-ce que ça signifie que je peux recouvrir tous les murs avec ma collection de guitares ?" j'ajoute avec un sourire lorsque nous nous séparons pour respirer.

Puis j'éclate de rire.

"– Je te rassure, je n'en possède pas tant que ça. Juste une dizaine. Peut-être à peine plus."

– Déjà fait, pour ma part. Mais je t'aiderai à leur trouver quelque chose, si tu me donnes des idées pour Lucy et Sean.
– Hm… Marché conclu ! je rétorque en souriant avant de déposer mes bras sur ses épaules pour venir l'enlacer davantage.
–Ca te dirait une petite virée shopping un de ces jours ? A Portland, ou à un autre endroit. Nous pourrions prendre mon pick-up, et passer la journée ensemble. Juste nous deux.
– Bien-sûr, avec plaisir même.

Jamais je ne pourrai répondre non à une sortie avec lui… Même si ce n'est que pour faire quelques achats. Je suis bien trop heureuse de l'avoir retrouvé.

– Je prévois donc une tenue de gala, du champagne, des bougies et des roses ?Ou es-tu plutôt du genre à passer la soirée en pyjama sous une couverture ?
– Alors… En réalité, je suis plus du genre à me retrouver nue sous les couvertures quand je suis avec toi… Tu n'auras donc aucun effort vestimentaire à faire… dis-je avant de lui voler un nouveau baiser.

La conversation dévie sur Lucy et son comportement envers Tom. Je le rassure comme je le peux, n'hésitant pas à le taquiner en évoquant sa gentillesse envers moi… Et surtout le fait qu'il était à présent ici chez lui.

– Est-ce que ça signifie que je peux recouvrir tous les murs avec ma collection de guitares ?
Demande t-il avant d'éclater de rire.
– Je te rassure, je n'en possède pas tant que ça. Juste une dizaine. Peut-être à peine plus.
– Je ne sais pas si la maison est assez grande pour ça mais… Je le répète, tu es ici chez toi. Donc tu peux tout à fait y mettre ta patte personnelle.

Je pensais sincèrement que ce serait plus difficile que cela pour moi… De voir mon quotidien changer si brusquement. De devoir lui laisser sa place… Mais non. Je suis même plutôt surprise de voir à quel point cela ne me gêne pas. Au contraire.

– Libre à toi de t'appropier les lieux si tu le souhaites. En revanche, préviens-moi si tu déplaces quelque chose. Juste que je sache où ranger.

"– Alors… En réalité, je suis plus du genre à me retrouver nue sous les couvertures quand je suis avec toi… Tu n'auras donc aucun effort vestimentaire à faire."

Je soupire contre ses lèvres. Elle a un don particulier pour réveiller chez moi des idées vraiment pas raisonnable. Alors même que nous pourrions être interrompus à tout moment.
Je me force donc à calmer les images un peu trop explicites qui naissent dans mon esprit.

"– Je note, mademoiselle Greene", je lui murmure. "Ce programme me convient parfaitement."

Je viens lui mordiller la lèvre inférieure, et l'embrasse à nouveau, en faisant de mon mieux pour éviter que ça ne dérape. Je n'aimerais vraiment pas être interrompu par Lucy.

Je viens ensuite déposer plusieurs baisers sur son visage, pour finir par son front. Cette complicité et ces moments tendres m'avaient vraiment manqué.

Je plaisante sur le fait d'être ici chez moi, en la taquinant sur le fait de ramener ici toute ma collection de guitares.

"– Je ne sais pas si la maison est assez grande pour ça mais… Je le répète, tu es ici chez toi. Donc tu peux tout à fait y mettre ta patte personnelle."

Je souris à cette remarque. Je dois avouer que c'est encore difficile pour moi d'envisager de modifier quoique ce soit d'autre que cet espace de travail qu'elle m'a offert.

"– Libre à toi de t'approprier les lieux si tu le souhaites", ajoute-t-elle pourtant. "En revanche, préviens-moi si tu déplaces quelque chose. Juste que je sache où ranger."
"– C'est promis."

Puis je fais une grimace.

"– Je te présente mes excuses par avance. Il paraît que je ne sais pas ranger mes affaires, et que j'ai tendance à en mettre un peu partout. Mais promis, je vais faire de mon mieux pour améliorer ça."

Je suppose que nous allons vite nous rendre compte des petits défauts que l'autre possède. Et nous devrons alors apprendre à vivre avec, ou négocier pour corriger ça.

Je l'attire un peu plus à moi, puis lui prend la main pour l'attirer sur le canapé.
Je m'allonge sur le dos, et laisse Emily venir s'installer contre moi.

Ainsi positionné, c'est beaucoup plus facile pour moi de l'enlacer et de laisser mes jambes s'entremêler aux siennes.

Je ferme les yeux, et me laisse bercer par le bruit de nos respirations.

"– Je t'embaucherai pour repeindre les murs de l'intérieur de ma maison à L.A, si ça te tente ?", dis-je au bout de plusieurs minutes de silence. "Tu pourras y peindre ce que tu veux."

– Je te présente mes excuses par avance. Il paraît que je ne sais pas ranger mes affaires, et que j'ai tendance à en mettre un peu partout. Mais promis, je vais faire de mon mieux pour améliorer ça.
– Je ne suis pas spécialement une folle du rangement non plus, lui dis-je. Une maison doit vivre, d'une certaine manière. Puis si ça devient trop le fouillis, on aura qu'à déménager et puis voilà.

Je plaisante, évidemment, même si je ne mens pas sur mon côté désorganisé. Seulement, même si j'entasse ça et là, il y a toujours un moment où je craque. Ça arrive généralement une fois par semaine, quand je ne suis pas en train de peindre. Il est vrai que lorsque je m'enferme dans l'atelier, je ne regarde absolument plus la maison.

Je me laisse entraîner sur le canapé, puis dans ses bras. Le soleil s'est couché. Il ne neige plus. Lucy ne devrait plus trop tarder à présent.

– Je t'embaucherai pour repeindre les murs de l'intérieur de ma maison à L.A, si ça te tente ?Tu pourras y peindre ce que tu veux.
– Euh… on verra hein, dis-je en souriant. Tu sais, généralement, ce genre de maison n'accepte pas vraiment les couleurs…

Et puis je ne trouve pas ce genre de lieu particulièrement intéressant à peindre. Enfin… C'est chez lui après tout. S'il aime cette maison, je n'ai rien à dire.

Comme je l'avais supposé, Lucy fait son grand retour. Elle râle au sujet de ses chaussures trempées par la neige avant de se plaindre du vent. Le Maine en hiver, elle ne l'aime qu'en image, tout le monde le sait…

– Dites vous deux, vous ne pouvez pas faire ça dans la chambre? gronde-t-elle avant de s'asseoir sur le bout du canapé sans même se préoccuper de nos jambes.

J'éclate de rire puis m'assieds correctement.

– Bah alors, quelle humeur… je pouffe avant de la chatouiller.
– Gnagnagna. On est des amoureux, on s'aime et gnagnagna.
– Ok, t'as gagné, je souffle avant de lui balancer un coussin à la figure.

Je note qu'Emily n'a pas l'air plus enthousiasmée que ça à l'idée de peindre mes murs.

"– Tu sais, généralement, ce genre de maison n'accepte pas vraiment les couleurs…"

A vrai dire, je me moque un peu des généralités. J'aimerais seulement qu'elle se sente là bas chez elle, tout autant qu'elle me promet de me sentir ici chez moi. Mais j'ai bien l'impression que ma demeure à L.A ne l'emballe pas plus que cela.

J'espère pouvoir la faire changer d'avis un jour. Ou sinon, peut-être devrais-je trouver autre chose.

Je ne sais pas.

Pour l'instant c'est beaucoup trop tôt pour me projeter de cette manière.
Même si Emily et moi avons tendance à tout faire très vite dans cette relation pourtant si récente.

"– Je peindrai les murs moi-même, dans ce cas", je plaisante. "Mais je te préviens, je suis vraiment nul."

Lorsque Lucy revient de sa promenade, nous sommes toujours tous les deux allongés sur le canapé.
Je note en tout cas sa mauvaise humeur apparente, tandis que Nix s'empresse d'aller s'installer devant le poêle. Ou peut-être aime-t-elle se plaindre. Après tout, je sens que je commence à peine à la connaître. Et je sais que son caractère me réserve encore bien des surprises.

"– Dites vous deux, vous ne pouvez pas faire ça dans la chambre?" nous lance-t-elle avant de s'assoir sur le canapé.

Elle m'écrase une jambe au passage, que je m'empresse de relever.

"– Tu sais que ça aurait pu être bien pire. Au moins nous avons gardé nos vêtements", je rétorque du tac au tac avec un sourire joueur.

A vrai dire, j'espère bien que jamais Lucy ne nous interrompra de cette manière. Mais l'occasion était trop belle pour laisser passer un commentaire de cet ordre.

"– Bah alors, quelle humeur", rit Emily.

Je me redresse de bonne grâce, m'installant sur le bord opposé du canapé.
Et j'éclate de rire lorsque ma compagne balance un coussin à la figure de son amie.

Évidemment, celle-ci répond à cette attaque sans attendre. Et elles se chamaillent, armée toute les deux d'un coussin.

Je n'ai pas envie de prendre partie. Et à vrai dire, je n'ai pas de coussin pour prendre part à cet affrontement.

Je finis donc par rejoindre Nix près du poêle, m'attirant un soupir de ce dernier.

"– Je crois que ton humaine a un peu trop d'énergie à dépenser, tu sais ?" je confie au chien à voix basse.

Cette bataille improvisée me fait beaucoup rire. J'en profite même pour prendre une ou deux photos, que je me promets d'envoyer ensuite à Emily.

"– Celle des deux qui perd se charge du repas de ce soir ?" je propose en riant. "Et hors de question de faire des sandwichs !"

J'ai une certaine ligne à tenir, après tout. Et je sens bien que les longues promenades dans Castine risquent d'être quelque peu comprises avec la neige.

Je ne sais pas ce qui a rendu Lucy aussi grincheuse, mais heureusement cette petite bataille lui a permis de se dérider un peu. Le challenge lancé par Tom nous a toutefois encouragés à nous arrêter… L'on se regarde, elle et moi, silencieuses, perplexes. Et puis :

– Ok, elle a gagné, dit-elle en lâchant son coussin avant de lever les deux mains en l'air. Il faut parfois savoir se sacrifier pour la survie du groupe…

J'éclate de rire bien sûr. Mon manque de talent culinaire est devenu une plaisanterie pour tout le monde. Et puis… Ce n'est pas vraiment que je manque de talent. C'est juste que je déteste ça. Pourquoi donc s'embêter à cuisiner pendant des heures un repas qui sera avalé en quelques secondes. Quelle perte de temps !

– Tu viens m'aider ? me lance-t-elle avant de me tendre la main pour me guider jusqu'à la cuisine.

Je l'aide à éplucher quelques carottes et pommes de terre. De ce que j'ai compris, elle a décidé de préparer une soupe. Alors je lui donne un coup de main, tout en discutant de tout et de rien. Au fil de la conversation je comprends que ce qui l'a fichu en rogne est l'annulation d'une commande déjà bien avancée. Le moulage enlacé d'une star de la chanson et de son compagnon footballeur. Elle m'a dit les noms, mais je ne les ai pas du tout retenus. Mais en gros, cette commande ruine son planning. Elle a bien touché un acompte, bien sûr… Mais celui-ci ne compense pas les semaines de travail derrière.

– Je comprends.
– C'est ce qui m'énerve avec ces gens-là. Ils naissent comme nous, ils ne sont personnes, mais dès qu'ils deviennent célèbres, ils se pensent tout permis… Le monde leur appartient ! grogne-t-elle juste avant de décapiter un pauvre poireau qui n'avait rien demandé. Et je ne dis pas ça pour toi, Tom.
– Je suis désolée, je souffle sans vraiment savoir quoi répondre à cela. Je ne travaille pas comme elle après tout… Je peins ce que j'aime, ce que je veux, à mon rythme. Je n'ai même aucun délai à respecter. Dans mon domaine, c'est une chance, un luxe et j'en ai parfaitement conscience.

Alors je l'écoute se plaindre, je l'aide avec sa préparation. Elle commence à évoquer le menu pour les fêtes. Ce qu'elle a prévu de cuisiner, ce qu'elle voudrait m'apprendre, ce qu'elle aimerait manger. C'est vrai que ce n'est pas vraiment un sujet que j'aime aborder… Pas plus que celui concernant les nombreuses décorations qu'elle a tout de même fini par accrocher chez moi… Mais elle est comme ça, Lucy. Elle aime se raccrocher à ces petites choses, ces fêtes dont je me fiche éperdument, à la nourriture. A côté d'elle , il y a bien peu de sujets qui m'intéressent. Alors je me contente d'écouter en souriant.

– Et vous faites quoi pour le nouvel an ?
– Euh … Rien ? Enfin, je ne sais pas, je rétorque en haussant les épaules.
– Vous devriez venir avec moi !
– Sans façon, merci, je rétorque en lui tendant le saladier plein de pommes de terre et de carottes totalement épluchées.
– Dommage. C'est joli New-York en cette saison.

Visiblement, Lucy préfère s'avouer vaincue plutôt que de goûter à la cuisine d'Emily. Ce qui fait beaucoup rire cette dernière, et m'arrache à moi aussi un éclat de rire - bien qu'un peu nerveux.
Pour l'instant, je n'ai pas encore eu l'occasion de tester les talents culinaires de ma compagne - ou plutôt l'absence de talents culinaire, en l'occurrence. Mais le jour où ça arrivera, ça promet d'être mémorable.

Emily fait toutefois office de commis de cuisine pour une Lucy qui a l'air d'être inspirée, bien que toujours en rogne.

Je les écoute d'une oreille distraite, en profitant pour consulter sur mon téléphone les messages et notifications qui m'attendent.

La situation de Lucy s'éclaircit bien vite dans mon esprit.
Et lorsque j'entends le nom de ceux qui lui ont causé du tort...

"– Ah ! Ça ne m'étonne pas d'eux !" je lâche en roulant des yeux.

Mine de rien, le monde de la musique n'est pas si grand que ça. Et j'en ai croisé du monde, au cours de ma carrière.

"– Une amie proche de Kelly", je reprends à l'attention d'Emily. "Encore plus pénible qu'elle. Mon manager avait envisagé une collaboration entre elle et nous, il y a quelques années. Mais il n'avait pas eu la patience de continuer à gérer ses caprices. "

"– C'est ce qui m'énerve avec ces gens-là", poursuit Lucy avec rogne. "Ils naissent comme nous, ils ne sont personnes, mais dès qu'ils deviennent célèbres, ils se pensent tout permis… Le monde leur appartient ! Et je ne dis pas ça pour toi, Tom."
"– Je tâcherai de ne pas prendre cette remarque trop à cœur", je marmonne en grimaçant.

Mais j'en prends quand même pour mon grade.
Et le pire, c'est que Lucy a raison. Moi aussi j'ai profité de cette célébrité.  Particulièrement lorsque j'étais encore très jeune dans ce milieu, et que j'avais l'impression que le monde entier était à mes pieds.

Maintenant je tâche de faire plus attention. Mais c'est parfois difficile de ne pas être éblouis par les projecteurs, par des fans qui feraient n'importe quoi pour passer seulement quelques secondes en notre compagnie.

Ce n'est guère étonnant que certains artistes perdent complètement le sens de la réalité.

La discussion embraye sur le menu des fêtes. Et j'ose proposer quelques idées pour aller avec ce qu'a prévu de cuisiner Lucy.

"– Et vous faites quoi pour le nouvel an ?"

Je souris largement, me souvenant de la discussion au sujet de couvertures et de la nécessité de faire abstraction d'un pyjama.

"– Euh … Rien ? Enfin, je ne sais pas", répond Emily avec une hésitation qui me fait sourire un peu plus.

Lucy nous propose alors de l'accompagner. Mais heureusement, Emily refuse aussitôt.

"– Dommage. C'est joli New-York en cette saison."

Sans aucun doute. Mais New York c'est aussi là où se trouve mon ex. Et je ne doute pas qu'elle a bien l'intention de fêter le nouvel an là-bas, comme chaque année. Donc autant éviter de la croiser par mégarde sur place.

"– Castine est plus jolie", je déclare, toujours installé à même le sol juste devant le poêle. "Moins de monde, beaucoup plus de calme. Moins de risque de croiser des gens que je n'ai pas envie de voir."

Je me risque à passer une main dans le poil de Nix, et je constate avec ravissement que ce dernier ne proteste pas du tout.  Et dire qu'au début il se méfiait de moi...

"– Et nous trouverons bien quelque chose à faire en attendant minuit", je continue en souriant. "Un film ou un jeu de société."