Apollonia lutte pour garder les yeux ouverts, son corps cherchant à la faire sombrer pour qu’elle ne ressente plus cette douleur insoutenable qui la tenaille. Ses réflexes ne réagissent même pas lorsqu’une masse s’écrase juste à côté d’elle, sauf celui de ses yeux qui papillonne pour se protéger de la poussière avant de s’ouvrir difficilement sur Lucas vers qui elle parvient à tourner la tête. Le jeune homme ne se relève pas. Pourquoi il ne se relève pas..? Il se fait désarmer par l’homme au masque. Non… Elle n’a pas la force de bouger ni de protester. Sa main s’approche néanmoins péniblement de celle du jeune homme à ses côtés, sans parvenir à l’atteindre. Elle ne fait que l’effleurer du revers de la sienne. La force lui manque terriblement et c’est une lutte de chaque instant que de rester éveillé, mais elle y parvient. Il le faut.

Elle ne quitte pas ses yeux, même lorsque les quatre autres mages noirs réapparaissent autour d’eux avec de bien sombres intentions. Son regard ne dévie pas de celui de Lucas, s’accrochant à cette paillette de brillance vivace dans son regard qui lui assure que le jeune homme vit toujours. Elle guette avec une profonde appréhension et un calme résigné, l’instant où celle-ci disparaîtra. La jeune femme sent quelque chose de chaud glisser le long de sa joue, elle ne réalise pas alors que c’est une de ses larmes. Une voix s’élève non loin, celle d’Astoria qui observe leur manège.
— Pas qu’un simple Sang-de-Bourde on dirait… Oh, ma pauvre Apollonia… Endoloris !
Un éclair vert jaillit. Le corps du jeune homme se contorsionne douloureusement sans qu’elle ne puisse rien faire, sinon que d'hurler de toute son âme comme si elle était celle à recevoir le sort. Puis…
— Ça suffit comme ça. Termine-le qu’on en finisse.
Ses paupières s’alourdissent. Elle ne cède pas.
— Avad-
Sa vision se brouille. Elle s’y refuse, restera jusqu’à la fin.
— Expelliarmus!
Elle ferme les yeux, abandonnant malgré elle un peu plus de sa conscience. Elle perçoit à travers celles-ci des lueurs vertes et rouge. Le son d’une baguette qui tombe sur le sol et des sorts fuser. Elle croit reconnaître la voix d’Alec au loin qui l’appelle, mais peut-être l’imagine telle, tandis que les sons deviennent sourds et étouffés. Elle ne voit plus, n’entend plus, ni ne ressent la douleur à sa jambe et celle à sa tête, son esprit parti se retrancher dans un lieu entre la mort et la vie.

Lucas voit trouble. La respiration saccadée, il tourne la tête vers Apollonia et ne lâche pas son visage flou des yeux, sentant son regard sur lui.  

La voix d’Astoria lui parvient, lointaine, suivi d’une douleur intense. C’est comme si chaque muscle, chaque nerf, chaque parcelle de son corps éclataient l’une après l’autre. Le sort dure plus que la première fois. Lucas hurle sans s’en rendre compte, tordu de douleur. Lorsque le sort est enfin rompu, le jeune homme est à bout de souffle. La douleur reste même après la rupture du contact... et plus celui-ci est prolongé, plus le corps met de temps à se remettre. Le policier ne voit et n’entend plus rien, le sang battant à ses oreilles à une vitesse folle et la vue brouillée par les larmes. Il n’entend pas le début du sort funeste, ni son interruption... Hors de la réalité, il s’oblige à bouger pour se trainer à tâtons vers Apollonia. Tout se corps le lance, le moindre mouvement est un supplice, mais cela prouve qu’il est encore en vie...  

Retrouvant un peu de vision, Lucas trouve la main inerte de la jeune femme non loin de lui. Il la sert faiblement en espérant obtenir une réaction, en vain...

Il entend des voix et des sortilèges lancés autour d’eux, mais seule Apollonia compte.  

Un nouveau sort lancé contre lui (Sectumsempra), ou peut-être juste détourné ou mal lancé... mais le fait est qu’il le reçoit de plein fouet. Une nouvelle douleur... Ou plutôt des dizaines de douleurs... Lucas n’a pas le temps de hurler cette fois, il sombre, tenant fermement la main d’Apollonia.

****

D’abord les sons... des éclats de voix, des bruits étranges... Puis la lumière, à travers les paupières closes, éblouissante... Lucas ferme plus étroitement les yeux. Mais les sons se font plus forts, plus dérangeants, et la lumière plus vive...

Il finit par ouvrir les yeux, les clignent à plusieurs reprises le temps de s’habituer. Il est étendu dans un lit dans une grande pièce qu’il ne connait pas. Il a mal à la tête... en fait il a mal absolument partout...

Il referme les yeux pour essayer de faire le point, de se rappeler... se rappeler quoi ? Ses derniers souvenirs sont si flous...

”Concentre toi...”

Mais il se rendors avant d’avoir pu faire le point, sombrant dans un sommeil agité duquel il se réveille en sursaut et en hurlant.

"Apollonia !"

Assis dans son lit, haletant, il jette un regard paniqué autour de lui. Une dame en tenue d’infirmière accourt aussitôt vers lui et tente de le calmer d’une voix calme mais ferme.

"Apollonia... Où est-elle ? Je dois la voir !"

- Calmez-vous jeune homme ! Vous n’êtes pas en état de vous agiter ainsi !

Pas en état... mais de quoi parle-t-elle ? Et où est-il ?

Le policier regarde plus attentivement les lieux et l’informations atteins peu à peu son cerveau endoloris : il est à l’hôpital...

"Comment... Que s’est-il passé ?"

L’infirmière l’oblige à se rallonger et lui explique que des Aurores l’ont amené il a quelques jours avec une jeune femme. Quelques jours...  

"La jeune femme, où est-elle ? Est-ce qu’elle va bien ?"

Mais l’infirmière n’a pas le temps de répondre. Quelqu’un vient d’entrer dans la salle et s’approche d’eux...

Alec avait éprouvé une sensation de plénitude lors de sa première rencontre avec Apollonia Black. Bien qu'initialement réticent à l'idée d'épouser une étrangère, le portrait de la jeune femme qu'il avait reçu dans sa vingtaine avait éveillé en lui des émotions qu'il croyait inaccessibles. Rencontrer Apollonia en personne, après des années de correspondance, avait matérialisé l’objet de ses sentiments. La beauté froide de la jeune femme aurait pu glacer le cœur de n'importe qui, mais un seul de ses sourires suffisait à faire fondre celui d’Alec. De plus, elle possédait une lumière intérieure qui la distinguait. Tout comme lui, elle aspirait à se libérer de l'emprise de la pureté du sang qui avait façonné leur enfance. C'est pour redorer le blason des Lestranges qu'il avait choisi de devenir Auror, le premier de sa lignée, et de se rapprocher d'Apollonia qui travaillait à Londres, en rejoignant son Ministère. Bien que la jeune femme ait retardé leurs fiançailles en raison de ses responsabilités et ambitions durant plusieurs années, sa patience avait finalement porté ses fruits. Dans deux semaines, elle serait sa femme, et Alec se sentait comblé.

Cependant, force était de constater qu’une ombre au tableau avait récemment assombri leur bonheur. La découverte des restes de Colt Tauris, un enfant disparu dans les années 80 avait  semblé profondément troublée Apollonia. Elle s'était impliquée dans l'affaire sans le consulter, mettant délibérément sa vie en danger malgré ses avertissements. Elle avait enquêté en dehors de ses fonctions et sans aucun renforts. Le cœur d'Alec avait cessé de battre en recevant le message de détresse de son patronus, et d'autant plus lorsqu’il la trouva inconsciente sur le sol du manoir des Nott.

Il se rappelait encore de l'instant où il avait trouvé Apollonia dans le repère de la secte... Le jeune policier s'était trainé à bout de force jusqu’à sa promise, et avait glissé sa  main dans la sienne avant de n’avoir pu prévenir l’assaut d’un sortilège ricoché. Qui était cet homme ? Se connaissaient-ils ? Alec comptait bien mettre cette histoire au clair. Si on l'avait envoyé à St-Mangouste pour interroger le policier sur l'affaire en cours, il comptait bien lui rendre quelques comptes personnels.

Et visiblement, Alec avait déjà une idée de la réponse, car en arrivant dans la salle aux lits d'hospices alignés, l'homme semblait tout droit émerger et n'avait qu'un seul nom en bouche : celui de sa fiancée. Il s'approcha le pas assuré et fort confiant. Il savait leur amour réel, mais aussi conscient du pouvoir d'attraction de sa future femme, il était prêt à remettre ce jeune galopin à sa place.
— Apollonia s'est remise de ses blessures. Elle va bien », informa Alec en tirant une chaise non loin de là et en s'asseyant près de lui, son regard perçant fixé sur le jeune homme. Une vague de mépris l'envahissait. Était-ce de la jalousie ? Il souffla profondément pour se recentrer. « Elle n'aurait pas dû être là... Elle aurait dû avertir le Ministère au premier signe de magie noire dans l'enquête… mais ma fiancée se retrouve face à cinq mages noirs avec un policier… inexpérimenté à ses côtés. » Ses mots étaient durs, sévères et pleins de reproches. Quelque chose lui disait que cet homme était en partie responsable de cet incident qui aurait pu coûter la vie à son aimée. « Pouvez-vous m'éclairer sur les événements, Mr. Artwood ? » demandait Alec d'un ton tranchant et acerbe, fixant ses yeux durs dans ceux du jeune homme. Il se pencha un peu plus sur sa chaise. Sa question avait un double sens : il voulait connaître non seulement les faits, mais aussi la raison de la présence du policier aux côtés d'Apollonia et la nature de leur relation. L'infirmière le réprimanda du regard. Il l'ignora.

Alec Lestrange... Lucas le connait sans le connaitre, à savoir qu’il sait qui il est mais ne l’a jamais rencontré personnellement. Ils auraient pu être collègues si Lucas ne s’était pas interdit le poste d’Auror...  

Apparemment, il a entendu le policier et lui assure sans attendre qu’Apollonia se porte bien. Le jeune homme ne peut cacher son soulagement, se détendant enfin un peu sur ses oreillers.  

L’Auror s’installe prêt du lit et, sans lâcher Lucas des yeux, reprend la parole. Ses mots font serrer les dents du policier qui se redresse aussitôt en grimaçant, sous le regard désapprobateur de l’infirmière, et fusille Alec du regard.

"Votre... fiancée... n'aurait pas dû être là en effet, mais vous savez pertinemment que je suis loin d’être inexpérimenté !"

On lui court après depuis assez longtemps pour qu’il rejoigne les rangs des Aurors... et pour ce qui est du lien qui unis Apollonia et monsieur Lestrange... Le mot “fiancée” arrache clairement la gorge de Lucas lorsqu’il le prononce.

Appuyé contre les oreillers, le policier sert les poings alors que l’Auror lui demande de détailler les évènements qui les ont amenés là...

Le jeune homme soupire entre ses dents.

"Elle n’en a fait qu’à sa tête, voilà ce qui s’est passé !"

Elle a voulu se la jouer solo... Au péril de sa vie... et une fois encore Lucas s’est retrouvé presqu’impuissant pour la défendre...  

Détournant les yeux, il prend une grande inspiration pour ravaler la boule qui se forme dans sa gorge. Il doit reprendre contenance, il ne peut pas laisser paraitre ses émotions face à ce... type...

Assurant sa voix, le policier reprend.

"C’est moi qui lui ai dit d’appeler les Aurors. Nous avons été submergés... Elle n’était pas sensée revenir au manoir après son message..."

Il s’en sortait bien avant qu’elle ne revienne... tant qu’elle était loin du danger... Mais il a fallu qu’elle revienne...

Lucas se crispe et grimace de nouveau de douleur. C’est comme si tout son corps avait été incendié de l’intérieur...

Conscient qu’Alec attent un peu plus de détails, Lucas réfléchi à comment le contenter sans trahir la raison qui a poussé Apo à agir seule. Ce secret et ce lien qui affaiblissent encore aujourd'hui le policier...  

Ramenant son regard sur l’Auror, le visage désormais fermé, il reprend d’une voix neutre.

"L'enquête à prit une tournure inattendue et Apollonia s’est précipitée sans réfléchir. J’ai fait de mon mieux pour la suivre malgré ses nombreuses tentatives pour m’éloigner. Nous devions travailler en binôme, mais elle semble encore plus réticente que moi au travail en équipe..."

Quel pieux mensonge... et pas certain qu’Alec y croit... A quel point l’homme connait-il sa future femme ? Que lui a-t-elle avoué de son passé ? Comment est-elle avec lui ?

Imaginer le couple au quotidien sert le cœur meurtri du policier, mais il n’en montre rien. Il doit se reprendre...