Lasse d'occuper la place centrale dans une histoire de lycéens, je décide qu'il est grand temps pour moi de prendre un peu l'air. De toute façon, j'ai grand besoin de bouger un peu, sans quoi je risque fort de m'énerver à force d'inactivité. Ainsi, je me relève, non sans avoir déposé un tendre baiser sur les lèvres de Tom. Je ne m'attendais certainement pas à ce qu'il me retienne. Pour moi, je me suis simplement contentée d'énoncer des faits, cela ne signifie pas que c'est ce qu'il pense lui-même. Je le comprends lorsque sa main s'empare de la mienne juste avant qu'il ne se relève pour me prendre dans ses bras.

– Je me fiche éperdument que tu ne sois pas un mannequin russe. Et tu n'es pas banale. Loin de là. Je t'aime toi. C'est toi qui m'a envoûté, qui m'a rendu complètement dingue alors que j'avais prévu de rester célibataire un bon moment. Et c'est toi que j'ai envie d'avoir dans mon lit. Pas Kelly, ou qui que ce soit d'autre. Mais promis, je vais la décourager. Une fois de plus.

Mes joues doivent être aussi rouges qu'une pivoine à l'heure qu'il est… Je suis extrêmement touchée par ses propos. Et même si à aucun moment je n'ai douté de ses sentiments, je ne peux nier que ces paroles sont très agréables à attendre.

– Je sais tout ça, Tom, lui dis-je avant de lui rendre son baiser.
– Je te laisse prendre l'air si tu en as besoin. Juste… Soit prudente, s'il te plait.
– Promis !

Je le laisse donc s'occuper de ses affaires tranquillement. Pour ma part, je décide simplement de sortir de la salle par la porte de service. Plusieurs membres du staff sont là, occupés à fumer leur cigarette en attendant que la répétition ne reprenne. Je fais quelques pas, récupérant mon téléphone dans mon sac pour appeler Sean. Je reste quelques minutes au téléphone avec lui, savourant ce petit moment où il me parle de mon chien, de mon petit quotidien qu'il me tarde de retrouver.

Je viens tout juste de raccrocher lorsque qu'une furie blonde me bouscule en courant. Cette dernière me lance un regard noir avant de grimper dans une voiture…

– Quelle mouche l'a piquée ? je demande dans le vent.
– Héhé, ricane Nancy, la maquilleuse. Disons simplement que Tom lui a dit ses quatre vérités. Et qu'il n'y est pas allé avec le dos de la cuillère.
– Je vois, je rétorque, un sourire empli de fierté sur les lèvres.

La seconde suivante, c'est Jeff qui quitte la salle. Je vois bien à son regard que ce n'est certainement pas Kelly qu'il poursuit…

– Toujours pas de nouvelles de Peter ?

Jeff, le téléphone à l'oreille, se contente de secouer la tête… Il est visiblement très inquiet pour son ami et je devine qu'il y a de quoi. Ils sont malheureusement nombreux dans ce domaine à sombrer dans divers travers tous plus sordides et dangereux les uns que les autres. Las Vegas ne les aide pas du tout à se montrer plus raisonnables. À ses paroles, je comprends que Jeff est en ligne avec la police…

Quand Tom sort à son tour, je me dirige aussitôt vers lui.

– Il faudrait peut-être contacter l'hôtel. Ils pourront ouvrir la porte de sa chambre…

Je ne mets guère de temps à retrouver Jeff, après avoir fait un bref détour par le parking. Je le trouve finalement en suivant sa voix, ce qui me mène à l'extérieur, derrière le bâtiment, non loin des fumeurs.

J'en aurais probablement fait partie il y a quelques années de ça, avant que mon ex ne m'incite à arrêter ce qu'elle appelait ces "cochonneries".

Emily est aussi présente. Et malgré mon inquiétude, je lui souris et lui prend la main lorsqu'elle arrive à ma hauteur.

"– Il faudrait peut-être contacter l'hôtel. Ils pourront ouvrir la porte de sa chambre…", dit-elle.

Je jette un coup d'oeil à l'attention de Jeff, et je lis dans son regard qu'il n'a guère plus d'infos que nous.

"- Je ne sais pas ce qu'il faisait hier soir", lance-t-il à son interlocuteur à l'autre bout de la ligne. "Il était avec un ami, mais ce dernier n'est pas certain de ce qu'il s'est passé. "

Je n'ai aucun mal à lire le mensonge à moitié dissimulé. Ce ne serait pas la première fois que Peter prendrait de la drogue. Et Frank n'aura bien évidemment pas voulu se montrer bavard à ce sujet. Lui et Peter sont de très bons amis. Aussi proches que Jeff et moi. Pour rien au monde il ne le trahirait de la sorte. Sauf que cette fois, cette foutue loyauté pourrait bien se terminer d'une manière tragique.

Je sors mon téléphone, et compose d'une main tremblante le numéro de l'hôtel.
Je ne suis guère à l'aise lorsque j'énonce à la réceptionniste la raison de mon appel. Je dois insister, à plusieurs reprises.

"- Ecoutez, je suis bien Tom Alskell. Ce n'est pas une plaisanterie.  Je n'ai aucune nouvelle de mon ami et j'aimerais juste être certain qu'il ne lui est rien arrivé..."

Autour de nous, je sens que les conversations se taisent. Juste quelques murmures viennent troubler le silence.

"- La police est sur place dans quelques minutes", me glisse Jeff.

Et je mets le téléphone sur haut parleur, pour qu'il transmette cette informations.

"- Ils ont prévenu les secours", insiste-t-il. "Nous vous demandons juste d'ouvrir sa chambre, et..."

Un individu prend la parole de l'autre côté de la ligne. Le ton est pressant, et notre interlocutrice se confond en excuses.

Elle nous assure finalement qu'ils ouvriront la porte et qu'ils nous rappeleront ensuite.

Elle raccroche finalement. Et j'attire Jeff dans une étreinte solide. Je vois bien que ce dernier est inquiet. C'est lui qui m'a présenté Peter, il y a tant d'années. Un adolescent alors timide. Frank nous avait rejoint seulement quelques mois plus tard.  Et Peter et lui étaient depuis inséparables.

"- Ne t'inquiète pas, ils vont le retrouver"
"- Peut-être", répond Jeff, "mais dans quel état ? Je lui avait dit d'arrêter ses conneries. Mais il n'a rien voulu entendre. Soit disant que tout ça l'aidait à tenir."

Il pose son front sur mon épaule, et lâche un juron.

"- L'imbécile !" peste-t-il. "Je lui avais dit qu'il n'avait qu'à arrêter, s'il n'arrivait plus à tenir. Mais il me disait que c'était impossible, que Jake comptait sur lui."

Je grimace. Je connais parfaitement ce sentiment... Cette nécessité de continuer malgré tout.

"- Tout ça pour ces chansons qu'on nous impose !" continue Jeff d'un ton amer. "Ce n'est même plus nous qui les écrivons. Frank était doué, à l'époque. Et toi, Tom... Tu étais parfait."

Je ferme les yeux. Je sais que s'il continue je vais craquer à mon tour. Mais je ne peux pas. Pas maintenant.

Je continue de le serrer contre moi.

"- Je suis désolé", je murmure finalement. "Il faut... Il faut qu'on arrête tout ça... qu'on fasse une pause."

Jeff laisse échapper un rire sans joie.

"- Ça fait des années qu'on demande ça à Jake... Des années qu'il ne nous écoute pas..."

Et à ce sujet...

"- Qu'est ce que vous fichez ici ? Tom, Jeff, je veux vous voir sur scène dans deux minutes. Et quelqu'un peut-il me dire ce que fou Frank ? Et ou est Peter ? Et quelqu'un sait oú est passé Kelly ?"

Je tourne la tête dans la direction de Jake. Il a l'air furieux, comme d'habitude. Mais il ne me fait pas peur. Pas cette fois.

"- Il est peut-être arrivé quelque chose à Peter, Jake", je proteste doucement. "Nous attendons des nouvelles de l'hôtel..."

"- Et ça vous empêche de travailler ?" siffle notre manager. "Vous êtes vraiment une bande d'incapables !"

Mon téléphone sonne, et je décroche d'une main tremblante avant de nous mettre sur haut parleur.

Je ne reconnais pas la voix au bout de la ligne. L'individu se présente comme un membre de la police. Peter est bien dans sa chambre. Et les nouvelles ne sont pas bonnes.

"- Les secours viennent d'arriver. Nous le transférons vers l'hôpital le plus proche. Des analyses toxicologiques permettront de déterminer ce qu'il a pris."

Il ajoute qu'il est difficile de savoir s'il va se réveiller.
J'entends le jugement dans le ton de cet homme. Il doit voir des cas comme ça si souvent... Surtout ici, à Vegas.

Mais ça ne rend pas pour autant la chose facile à avaler.

Jeff s'effondre dans mes bras dès la fin de la conversation.
C'est probablement trop pour nos nerfs. Le stress lié au concert de demain additionné à l'agacement constant de Jeff, et aux questionnements sur notre avenir. Et maintenant... Peter.

Je cherche le regard d'Emily, puis glisse un bras autour de sa taille. Et finalement, je craque à mon tour.

Je ne peux que rester en retrait tandis qu'ils passent leurs coup de fil. Je ne me mêle pas non plus à leur conversation, je n'ai absolument pas à le faire. Tout ceci fait partie de leur histoire et je n'y ai pas ma place. Je reste simplement là en tant que soutien silencieux. Je me sens tellement impuissante… Et je ne peux m'empêcher de pressentir le pire.

Quand Jake se pointe furibond, je fais de mon mieux pour me contenir. Je me dis seulement qu'il ne sait pas ce qu'il se passe et qu'il est stressé… Mais quand Tom lui explique la situation et que ce dernier ose lui répondre que ce n'est pas une bonne raison pour ne pas revenir travailler, je ne peux plus me retenir.

– Mais… Bon sang, allez donc vous faire voir espèce de parasite ! je gronde, juste avant que le téléphone de Tom se mette à sonner.

La situation semble critique, ce n'est pas le moment de se disputer. Les voyant craquer l'un à la suite de l'autre, je viens les enlacer tous les deux. Je leur offre le temps nécessaire pour se reprendre puis je contacte une compagnie de taxi. Hors de question de laisser Jeff conduire dans cet état là.

– Allez… Allons le voir, je lui lance après avoir raccroché.
– Et le concert ? Vous l'oubliez ?! S'exclame un Jake rouge de colère.
– Il serait grand temps de revoir votre sens des priorités…
– Est-ce que vous savez combien de fric vous êtes en train de me faire perdre ?!
– Vous êtes un abruti, Jake… Sincèrement.

Le chauffeur ne tarde pas à me rappeler pour m'annoncer son arrivée. Il se gare le long du trottoir et nous n'avons plus qu'à nous engouffrer dans le véhicule.

Lorsque l'on arrive aux urgences, on nous annonce que Peter vient de subir un lavement d'estomac. Apparemment, il aurait pris plusieurs pilules d'extasy couplées à une grande quantité d'alcool. Des examens complémentaires doivent encore être programmés pour se faire une idée de l'étendue des dégâts.

– A-t-il de la famille ? Demande le médecin. Des personnes à contacter ?

L'étreinte d'Emily me fait du bien. Beaucoup de bien.
Et ce, malgré mes sanglots qui ne semblent pas vouloir se calmer. Je pleurs beaucoup trop, ces derniers temps, je songe un instant.
Mais finalement, je m'en moque. J'en ai besoin. J'ai besoin d'évacuer ce stress, cette peur terrible que Peter...

Je prends une profonde inspiration, et fait de mon mieux pour me calmer, avant de murmurer à Jeff quelques mots de réconfort.

Je réalise à peine qu'Emily appelle un taxi.

"– Allez… Allons le voir", lance-t-elle doucement.

J'acquiesce aussitôt, sans lâcher Jeff, qui semble encore être sous le choc de la nouvelle.

"– Et le concert ? Vous l'oubliez ?! "

Jake... Encore et toujours. Il ne cessera jamais de nous embêter, celui là. Je n'ai même pas envie de lui répondre.  Mais heureusement, Emily vient une fois de plus à notre secours.

"– Il serait grand temps de revoir votre sens des priorités…", rétorque-t-elle.
"– Est-ce que vous savez combien de fric vous êtes en train de me faire perdre ?!" proteste Jake.

Le fric, toujours le fric... Il n'a rien d'autre en tête.

"– Vous êtes un abruti, Jake… Sincèrement."

Les mots d'Emily parviennent à m'arracher un bref sourire.

"- Il n'y aura pas de concert si nous perdons Peter", je le préviens. "Et au diable tout cet argent !"

Je n'ai plus envie de faire attention à ne pas le mettre en colère. J'en ai assez de son comportement, de cette manière de nous forcer à lui obéir.

Le taxi ne tarde pas à arriver, et nous montons tous les trois dans la voiture. A l'intérieur du véhicule, je ne lâche pas la main d'Emily. Jeff est quand à lui immobile, le regard dans le vague. Il a l'air réellement sous le choc.
Au point que je sors mon téléphone et rédige un bref message à l'attention de sa femme, pour la tenir au courant de la situation.

"- Ca va aller, les médecins vont s'occuper de lui", je lui souffle d'un ton que j'espère réconfortant.

Mon ami se contente d'hocher la tête, sans un mot. C'est évident qu'il ne me croit pas.

Arrivés à l'hôpital, nous sommes vite mis au courant de la situation. Alcool et extasy... qu'est ce qui a bien pu lui passer par la tête ?

"– A-t-il de la famille ? Des personnes à contacter ?"
"- J'ai le numéro de ses parents", j'acquiesce.

Comme Peter, Jeff et Frank ont celui des miens. C'est quelque chose que nous avions décidé au début de notre groupe, lorsque nous commencions à voyager. Pouvoir tenir au courant nos proches, s'il nous arrivait quelque chose. Je ne pensais pas en avoir besoin un jour.

"- J'ignore s'il fréquentait quelqu'un, par contre ?"

Je me tourne vers Jeff, et ce dernier hausse les épaules.

"- Aucune idée", souffle-t-il d'une voix rauque. "Il n'a mentionné personne, ces derniers temps."

Il nous reste maintenant juste à attendre. Je me sens affreusement mal, assis sur un banc terriblement inconfortable dans le couloir en face de la chambre de Peter. Jeff m'a demandé à être seul avec lui, et je n'ai pas pu lui refuser ça.
Heureusement, Emily est là. Encore et toujours.

Je ne lui ai pas lâché la main, comme si je craignais de la voir disparaitre.

Frank n'est toujours pas arrivé, et je me demande si la police l'a emmené pour l'interroger. Les médecins nous ont prévenu que l'état de Peter est critique. S'il ne se réveille pas, Frank pourrait être interpelé... Je n'imagine même pas la réaction des journalistes...

"- Promets-moi de me mettre une bonne paire de baffes si un jour je décide de toucher à la drogue", je soupire à l'attention d'Emily.

Je me tourne puis déposer un baiser sur ses lèvres. Je ne sais même pas quelle tête j'ai. Probablement les yeux rougis et les cheveux en bataille. Et Emily est toujours aussi belle.

"- Tu as été extraordinaire, tu sais ? Vis à vis de Jake."

Cette constatation m'arrache un sourire, qui disparait pourtant bien vite.

"- Je ne sais pas ce que je ferais sans toi", je lui murmure à l'oreille.

N'ayant jamais été confrontée à ce genre de situation, je n'ai qu'une très vague idée de ce que Tom et Jeff doivent ressentir. Je ne sais pas quoi dire, ni quoi faire… Mais c'est sans doute parce qu'il n'y a rien à dire. Parfois les mots sont tout simplement inutiles. C'est généralement le cas dans des situations aussi délicates que celle-ci… Alors je me contente d'être là, près de Tom. Je serre doucement sa main lorsqu'il en éprouve le besoin, je lui prête mon épaule quand tout ceci devient beaucoup trop lourd à supporter… Mais jamais au grand jamais je ne me permettrai d'affirmer que tout ira bien… Parce que je n'en sais rien.

– Promets-moi de me mettre une bonne paire de baffes si un jour je décide de toucher à la drogue.
– Non, Tom, je souffle. Si jamais tu y touches, je te quitte, j'affirme, un sourire froid sur les lèvres.

J'ai beau l'aimer de tout mon cœur, ce n'est certainement pas un combat que je suis prête à mener. Et je ne le ferai pas. Je ne m'en sens absolument pas capable.

– Tu as été extraordinaire, tu sais ? Vis à vis de Jake.

Je pouffe en serrant un peu plus sa main. Il n'y a rien d'extraordinaire dans le fait de remettre un parasite à sa place. Cet homme est toxique, il empoisonne tout ce qu'il touche…

–Je ne sais pas ce que je ferais sans toi.
– Tu as pourtant fort bien survécu jusque-là, je rétorque en déposant un baiser sur sa joue.

La porte de la chambre s'ouvre subitement sur un Jeff souriant. Peter est réveillé, bien qu'il tienne des propos totalement incohérents. Au moins, il est en vie et il y a de fortes chances pour qu'il le reste. C'est un véritable soulagement.

A partir de là, les médecins ne nous donnent plus la moindre nouvelle. Nous ne faisons pas partie de la famille après tout. Les parents de Peter ont été appelés et doivent arriver par le prochain avion. En attendant, nous resterons dans le flou. En revanche, il est parfaitement clair que Peter ne pourra pas participer au concert. C'est une certitude.

Frank nous rejoint à son tour et l'on peut dire qu'il a une mine affreuse. Je décide de m'éloigner pour les laisser discuter entre eux. Je n'ai absolument pas à m'en mêler après tout.

"– Promets-moi de me mettre une bonne paire de baffes si un jour je décide de toucher à la drogue."
"– Non, Tom", me souffle-t-elle. "Si jamais tu y touches, je te quitte."

Je lui jette un coup d'oeil surpris, puis j'acquiesce.

"- Je vois"

Ce n'est pas la réponse à laquelle je m'attendais. Le ton est même plutôt sec. Mais après tout, puis-je lui en vouloir ? J'imagine bien qu'elle n'a pas envie de me voir à la place de Peter.
Serais-je prêt à faire la même chose si c'était elle qui glissait vers cette route dangereuse ? Je ne crois pas. Bien sûr que je ne pourrais pas.

Je chasse cette douloureuse constatation de mon esprit.

"– Je ne sais pas ce que je ferais sans toi."
"– Tu as pourtant fort bien survécu jusque-là", me répond-elle en m'embrassant sur la joue.
"- Survécu, peut-être. Mais ce n'est pas la même chose que vivre.".

Jeff sort de la chambre avant que je n'ai pu continuer. Il sourit, ce qui est plutôt bon signe.
Et la tension dans mes épaules diminue lorsqu'il nous annonce que Peter s'est réveillé.
Je pousse un profond soupir de soulagement.

Durant la demi-heure qui suit, nous sommes fortement incités à nous éloigner de la chambre de Peter. Ses parents sont en route, et nous ne sommes pas considérés comme sa famille proche. A se demander à quoi sert notre célébrité si nous ne pouvons même pas en profiter pour être au chevet d'un membre du groupe. Ce n'est pas comme si nous étions parfaitement incognito. J'ai vu les regards un peu trop insistants que le personnel soignant pose sur nous. Et je ne sais même pas si des photos ont été prises. Ce dont je suis certain, c'est qu'il sera impossible de dissimuler l'hospitalisation de Peter. Et ce dernier ne pourra jamais être présent pour le concert de demain.

Frank ne tarde pas à nous rejoindre. Il a l'air un peu moins mal en point que toute à l'heure, mais il est tout de même affreusement pâle, et le moindre bruit un peu fort semble le déranger.

"- On peut savoir ce qui vous a pris, hier soir ?" siffle Jeff. "Vous êtes complètement inconscients, tous les deux ! De l'alcool, et maintenant de la drogue ?"

Il baisse le ton tandis qu'un infirmier passe à côté de nous.

"- Il aurait pu mourir, Frank ! Peter aurait pu mourir à cause de vos conneries !"
"- Doucement, Jeff !" marmonne Frank. Il est évident qu'il a un mal de tête carabiné. Mais je n'arrive même pas à m'inquiéter pour lui.
"- Non !" reprend Jeff d'un ton sec. "J'en ai marre de vous voir tous les deux vous pourrir la santé de la sorte. Grandissez un peu, bon sang !"
"- Jeff a raison, Frank", je renchéris. "Ce n'est pas en continuant de boire et de vous droguer que ça va arranger les choses."

Le regard que pose alors Frank sur moi est dur, et froid.

"- Parce que tu penses que c'est facile pour nous, Tom ? Tom, le parfait Tom ! Le star du groupe ! Toi et Jeff êtes peut-être dans la lumière, mais ce n'est pas le cas de Peter et moi."

Je fronce les sourcils.

"- Qu'est-ce que tu racontes, Frank ? Bien sûr que vous êtes dans la lumière. Toi, Peter, tout comme Jeff et moi. Des dizaines d'artistes donneraient n'importe quoi pour travailler avec vous. Vous avez du talent, tous les deux !"
"- Ce n'est pas l'impression que ça donne !" s'emporte Frank. "J'en ai assez de cette pression, de faire toujours mieux, toujours plus loin, avec des concerts toujours plus grands et des tournées toujours plus longues. Je suis fatigué, Tom, fatigué de tout ça. Quoique je fasse, ce ne sera jamais assez bien. Jamais assez vite, jamais assez original."

Il commence à sanglotter, et j'échange un regard catastrophé avec Jeff. Est-il vraiment parfaitement sobre ? Et depuis quand garde-t-il tout ça pour lui ?

J'ai très vite la réponse à ma première question quand Frank a un haut de coeur, et vomis sur mes chaussures et celles de Jeff.

Je soupire, alors que je sens un certain agacement monter en moi.

"- Je reviens", je marmonne d'un ton sec en m'éclipsant en direction des toilettes les plus proches.

Je croise Emily en chemin, et lui dépose au passage un baiser sur la joue. Elle s'est mise en retrait, comme si elle ne se sentait pas légitime d'assister à notre conversation. Ou peut-être n'a-t-elle pas envie d'entendre tous nos problèmes.

"- Je vais juste nettoyer ça", je lui lance en faisant un geste en direction de mes chaussures. "Et ensuite nous pourrons partir d'ici."

Je referme la porte des sanitaires peut-être un peu trop brutalement derrière-moi. Je suis énervé. Contre Peter, contre Frank, mais également contre moi et contre cette industrie de la musique qui nous presse jusqu'à l'épuisement.

Je ne mets guère de temps à éponger les bêtises de Frank. Et lorsque Jeff me rejoint, je suis en train de me mettre de l'eau sur le visage, penché sur l'un des lavabos. Je grimace en croisant mon reflet. J'ai une mine affreuse.

"- Ce n'est pas de ta faute, Tom".

Je me tourne vers Jeff. Ce dernier est pieds nu, et tente tant bien que mal de nettoyer ses sandales. Il est encore habillé d'une de ses traditionnelles chemises à fleur, et d'un short qui a connu des jours meilleurs.

"- Ce n'est pas la tienne non plus", je rétorque.

Mon ami soupire, et hausse les épaules. Il a l'air de ne pas savoir quoi me répondre. Et à vrai dire, je ne sais pas non plus quoi lui dire de plus.

"- Il va falloir qu'on discute. De l'avenir du groupe."

Nous échangeons un regard entendu. Il est évident que notre avenir est de plus en plus incertain.

"- Et le concert de demain soir ?" me questionne-t-il.
"- Aucune idée."
"- Jake va nous tuer."
"- Que Jake aille se faire voir."

Je suis supris de voir Jeff éclater de rire, et je souris à mon tour lorsqu'il passe un bras autour de mes épaules.

"- Ca fait des années que j'ai envie de t'entendre dire ça, Tommy."

Je grimace lorsqu'il ébouriffe mes cheveux.
Lorsque nous ressortons des sanitaires, c'est bras dessus, bras dessous, plus soudés que jamais.
Frank a disparu. Peut-être emmené par des médecins. Mais peu importe.
Je m'échappe de l'étreinte de Jeff, pour venir prendre Emily dans mes bras. Elle est toujours là, et je lui en suis incroyablement reconnaissant.

"- Retournons à l'hôtel", je soupire dans ses cheveux. "La matinée a été mouvementée."

Je me moque de Jake, de Kelly, de ce fichu concert. Je pense qu'il est temps que Jeff et moi ayons une longue conversation au sujet de ce groupe, et surtout de notre avenir.

J'appelle un taxi, qui ne tarde pas à venir nous récupérer.
Jake a essayé de m'appeler plusieurs fois, mais je ne daigne même pas lui envoyer un sms. Qu'il aille se faire voir.

"- Je suis navré que tu ais assisté à ça", je soupire à l'attention d'Emily.

Nous sommes tous les trois installés à l'arrière du taxi. Jeff a échangé quelques mots avec sa femme au début du trajet, juste pour la rassurer. Et à présent, le silence est presque trop dur à supporter.

"- Ca faisait un moment que ça risquait de déraper", renifle mon ami.
"- Ce n'est pas une raison", je marmonne. "J'espère simplement que Peter n'aura pas trop de séquelles. Et Frank non plus."
"- Ce qui leur faudrait, c'est une cure de désintoxication", reprend Jeff. "Et en attendant, on continue, toi et moi."
"- Juste nous deux ?"
"- Juste nous deux", confirme Jeff. "Toi au chant et à la guitare. Et moi à la batterie."

J'acquiesce, songeur. Je n'avais pas prévu d'en discuter tout de suite. Et l'hôtel est déjà en vue.

Lorsque nous sortons du taxi, nous sommes assaillis par une horde de journalistes. Je laisse Jeff leur répondre, tandis que je passe un bras autour des épaules d'Emily, la protégeant du mieux que je peux des caméras. Je ne suis sereins que lorsque nous rejoignons enfin notre chambre, et que je referme la porte derrière nous.

"- Je suis vraiment désolé", je murmure en la serrant contre moi.

Je savais parfaitement que le monde de la musique était exigeant. Il l'a toujours été et cela ne va malheureusement pas en s'arrangeant. Pourtant, je pense très sincèrement qu'ils pourraient tous bien mieux vivre la chose s'ils pouvaient travailler avec un label et une équipe qui respectent leur talent mais surtout leurs limites. Je ne peux malheureusement rien faire pour eux, si ce n'est de les soutenir et de respecter leur intimité. C'est pour cela que je reste à l'écart, pour les laisser discuter librement sans avoir à supporter l'intrusion de la copine du chanteur. Je n'ai pas l'intention de devenir leur Yoko Ono.

Je décide donc de m'éloigner, guettant le moindre téléphone relevé pour venir très discrètement signaler au curieux qu'il s'agit d'une violation de leur vie privée. Les photos sont effacées et je leur demande gentiment de respecter l'intimité du groupe… Les gens obtempèrent facilement et je les en remercie. Je n'ai même pas besoin de sortir la carte de l'avocat et du procès qui en découdrait si jamais une seule photo atterrissait dans la presse… Je demande ensuite au service de sécurité de l'hôpital de déterminer un périmètre autour de la chambre de Peter, en attendant que leurs gardes du corps ne soient avertis… Ainsi, rapidement, les couloirs de l'étage se voient vidés de toute personne trop curieuse, assurant par là même la sécurité et l'intimité des membres présents.

C'est autour des sanitaires que je retrouve Tom… Il semble agité, en colère… À la vue de ses chaussures, je comprends que Frank ne doit pas être au mieux de sa forme… Ce concert me paraît bien mal parti.

Comme il me le demande, je patiente à l'extérieur. Je vois Jeff y entrer à son tour et je me permets de lui offrir un sourire compatissant… Que puis-je faire de plus ?

Lorsque les deux ressortent finalement, ils semblent de bien meilleure humeur, ce qui me rassure aussitôt.

– Je suis navré que tu ais assisté à ça, soupire-t-il lorsque nous nous trouvons bien à l'abri dans le taxi.
– Ce n'est pas de ta faute, Tom… je rétorque en serrant doucement sa main. Tu n'as pas à te sentir navré. Je suis seulement désolée pour vous d'avoir à endurer cela…

Je me fais discrète pour le reste du trajet. Tous deux partent dans une nouvelle conversation qui nécessiterait bien plus de temps… Et surtout un environnement bien plus propice.

Devant l'hôtel, une troupe de journalistes les attend et je ne comprends même pas pourquoi ce n'est pas un attaché de presse qui se charge de les accueillir. Ce groupe subit déjà suffisamment de pression pour cela, ils devraient être au moins soulagés de ce genre d'épreuve…Rien n'est fait pour les aider et je trouve ça franchement scandaleux.

Arrivés dans notre chambre, je retrouve un Tom abattu, épuisé. Je me sens atrocement mal pour lui et je comprends mieux pourquoi il a entrepris ce fameux road trip en solitaire.

–Je suis vraiment désolé, murmure-t-il en me serrant dans ses bras.
– Je suis là, Tom. Et je ne partirai pas, lui dis-je avant de déposer un baiser sur ses lèvres.

On pourrait rester ici, faire l'amour, prendre un bain et dormir… Mais ce n'est pas ce dont il a besoin pour l'instant. Ce qu'il lui manque, c'est l'insouciance et la liberté… Cette ville nous rendra fous si on lui en laisse l'occasion.

– J'ai une idée, je lui souffle à l'oreille avant de m'emparer du combiné pour appeler l'accueil. Bonjour. Excusez-moi de vous déranger mais je souhaiterais louer une voiture… Pour tout de suite. Non, le modèle importe peu. Non, pas besoin d'un modèle de luxe, je soupire. Oui, voilà… Une discrète citadine, c'est parfait. Merci.

Je raccroche le téléphone avant de me tourner vers lui, un grand sourire aux lèvres.

– Enfile des vêtements confortables, prends ta guitare et… Change de chaussures. Il faut sortir de cette ville… je déclare en retirant mes vêtements pour me changer. Tu peux inviter Jeff si tu veux. Ça ne lui fera pas de mal non plus. Mais c'est moi qui conduit !

J'ai bien l'intention de rouler jusque dans le désert. De profiter de ces grands espaces colorés où l'on ne croise jamais personne. De l'air… Voilà ce qu'il nous faut…

"– Je suis vraiment désolé"
"– Je suis là, Tom", dit Emily doucement. "Et je ne partirai pas"

L'entendre me fait beaucoup de bien, et je réponds au baiser qu'elle dépose ensuite sur mes lèvres, accentuant le contact entre nos deux corps.
Je me sens complètement perdu, et j'ai simplement besoin de sa présence, de son soutien.

"– J'ai une idée", annonce-t-elle tandis que je dépose un baiser sur sa tempe.

Elle s'arrache à mon étreinte, pour attraper le téléphone qui permet de joindre la réception.

"– Bonjour. Excusez-moi de vous déranger mais je souhaiterais louer une voiture… Pour tout de suite. Non, le modèle importe peu. Non, pas besoin d'un modèle de luxe. Oui, voilà… Une discrète citadine, c'est parfait. Merci."

J'hausse un sourcil, tandis qu'un sourire incertain prend place sur mes lèvres. Qu'a-t-elle en tête ? Une voiture ? Pour quoi faire ?

Lorsqu'elle raccroche, c'est pour me dédier un large sourire. Le genre de sourire qui me fait frissonner.

"– Enfile des vêtements confortables, prends ta guitare et… Change de chaussures. Il faut sortir de cette ville… Tu peux inviter Jeff si tu veux. Ça ne lui fera pas de mal non plus. Mais c'est moi qui conduit !"

"- A tes ordres", je réponds en riant sans la lâcher du regard.

A-t-elle peur que je conduise de travers vu l'état dans lequel je suis ? Mais à vrai dire, elle n'a pas tort. J'ai les mains qui tremblent, encore sous le coup de l'émotion. Et j'imagine que Jeff n'est pas beaucoup mieux.

Elle est en train de retirer un à un ses vêtements, pour enfiler une tenue qui a l'air beaucoup plus confortable. Et je m'empresse de faire de même.

Je grimace en retirant mes chaussures. Il faudra que je vois avec le pressing de l'hôtel s'il est possible d'y faire quelque chose. Surtout pour retirer cette odeur infâme.

En à peine quelques minutes, j'ai enfilé des vêtements propres, et dans lesquels je me sens tout de suite beaucoup plus à l'aise. Ma guitare est prête. Heureusement, je ne l'avais pas emmené avec moi ce matin. Et je prépare également quelques bouteilles d'eau, et deux paquets de biscuits, gracieusement fournis par l'hôtel avec la chambre.

J'ai tôt fait de récupérer Jeff, dans le couloir, tandis que ce dernier s'avance vers sa chambre en fronçant les sourcils.

"- Enfile des vêtements propres et viens frapper à ma chambre", je lui déclare en souriant. "Emily nous emmène faire un tour."

Il cligne des yeux, et me dévisage comme si j'avais perdu l'esprit.

"- Où ça ?"

J'hausse les épaules.

"- Aucune idée. Ça te dit ?"

J'arrive enfin à lui arracher un sourire, suivi d'un éclat de rire.

"- N'importe quoi pour sortir d'ici. Prêt à partir à l'aventure, Tommy ? Comme lorsque nous étions plus jeunes ?"
"- Plus prêt que jamais !"

Il déverrouille la porte de sa chambre, puis me jette un coup d’œil amusé.

"- Cette fille a une très bonne influence sur toi, mon vieux. Garde-la. Le plus longtemps possible."
"- J'y compte bien."

Nous nous éclipsons de l'hôtel quelques minutes plus tard, en empruntant une entrée de service, qui nous faire sortir dans une rue adjacente. Une voiture nous y attend déjà, et un membre du personnel de l'hôtel tend les clés à Emily.

Le véhicule est d'une couleur grise parfaitement ordinaire, et les vitres arrières sont teintées. Parfait pour passer complètement inaperçus.

Je cale la guitare dans le coffre, avec nos provisions, et je monte à l'avant, côté passager. J'ai mes lunettes de soleil, une casquette sur la tête, et un t-shirt délavé. Si quelqu'un me voyait, personne ne ferait le lien entre le look que j'ai actuellement et la superstar Tom Alskell. Du moins, je l'espère.

Ma main trouve celle d'Emily, alors que Jeff se glisse à l'arrière du véhicule.

"- En route !" je m'exclame avec enthousiasme.

Il nous faut finalement peu de temps pour nous extraire de la circulation dense du centre de Las Vegas. Et plus nous nous éloignons, plus je sens la tension qui m'habitait retomber peu à peu.

Et peu à peu, la ville disparait pour laisser place aux grands espaces qui se couvrent peu à peu de ce rouge et orange caractéristiques du désert.

"- Vous n'imaginez pas à quel point j'en avais besoin", soupire Jeff à l'arrière du véhicule.

Il a ouvert la fenêtre arrière gauche, et penche sa tête vers l'extérieur comme pour mieux respirer l'air chaud de l'extérieur.

Et moi aussi, je me sens bien. J'ai éteint mon téléphone, et je profite du calme, et de cette sensation de liberté.

"- Tu devrais voir Castine, Jeff", je soupire. "Et la côte Est. Un jour je t'y emmènerai."
"- Pour écrire tout un album ?" me taquine mon ami.
"- Pourquoi pas. Le calme m'a inspiré."
"- J'ai l'impression qu'il n'y a pas que le calme, qui t'a inspiré, Tom", s'amuse-t-il.

Et j'éclate de rire. Il est vrai qu'Emily est la cause principale de mon inspiration soudaine.

"- A ce sujet, tu m'avais promis de me faire écouter tes nouvelles chansons", reprend-t-il. "Allons-nous avoir droit à un concert privé ? J'ai vu que tu as pris ta guitare..."
"- Pourquoi pas, si vous êtes sages, tous les deux."

Je me sens beaucoup mieux, et j'arrive enfin à plaisanter en laissant derrière moi les évènements de la matinée.

"- C'était une excellente idée", je souffle à l'attention d'Emily.

Je roule sur la quatre-vingt-quinze, celle qui part vers l'ouest… Plus exactement en direction de l'Amargosa valley. J'aime cet endroit pour son aspect lunaire, même si je n'ai pas spécialement l'intention de m'y arrêter. C'est encore beaucoup trop touristique à mon goût. Pour l'heure, tout ce qui m'intéresse c'est de pouvoir mettre de la distance entre cette cité de fous et nous…

Je suis heureuse de constater qu'ils m'ont loué une boîte manuelle… Je déteste sincèrement les voitures à boîte automatique… Et puis, cela permet à Tom de pouvoir poser sa main sur celle qui ne quitte pas le levier de vitesse.

Je les écoute parler en souriant. Je suis heureuse de constater que leur humeur s'est grandement améliorée.

– L'auberge de Castine est très confortable, j'ajoute comme pour camoufler le rouge qui est venu teinter mes joues.

Le sujet dévie aussitôt sur les nouvelles chansons de Tom et la possibilité de pouvoir assister à un concert privé. J'avoue me sentir extrêmement chanceuse et surtout très curieuse… Ces chansons, je rêve de pouvoir les entendre.

– Hey, je suis toujours sage ! je proteste avant d'ajouter : En tout cas, en public.

Je continue de rouler pendant une bonne trentaine de minutes pour finalement m'arrêter au milieu de nulle part. Il n'y a rien d'autre que le désert autour de nous. Rien d'autre que cet espace immense légèrement vallonné. Je peux distinguer l'entrée d'un parcours de randonnée, ce qui éveille ma curiosité… Mais la nuit tombe vite dans le désert et ce n'est pas le moment de mettre deux stars de la chanson en danger.

Je sors de la voiture et profite enfin de ce calme qui m'a tant manqué.

– À mon sens, c'est l'endroit idéal pour un concert. Aucun bruit parasite dans le coin… Pas même les grondements de Jake.

"– Hey, je suis toujours sage !", proteste Emily lorsque je pose en plaisantant mes conditions pour ce concert privé. "En tout cas, en public", ajoute-t-elle ensuite.

Je lui jette un coup d'oeil amusé. Je vois très bien à quoi elle fait référence.

"- Ça ne me dérange absolument pas que tu ne sois pas sage lorsque tu es juste avec moi", je chuchote. "Bien au contraire"

Ma main se resserre un peu plus sur la sienne.

"- Arrêtez de flirter, tous les deux !", plaisante Jeff. "Je ne suis pas venu pour tenir la chandelle.

Je me tourne pour lancer un coup d'oeil moqueur à mon ami.

"- J'ai supporté ta manière horrible de flirter avec tout ce qui bougeait pendant des années, Jeff. Alors tu me dois bien ça."

Jeff se contente de rétorquer qu'il ne flirtait pas avec tout ce qui bougeait, merci bien, et qu'il avait fini par rencontrer sa femme de cette manière, après tout.

L'humeur est beaucoup plus légère, et je ne vois pas passer le temps alors qu'Emily nous emmène vers l'ouest.

J'aime cette sensation de liberté, cette impression que tout est possible, pour peu que nous nous autorisions à rêver.

Emily arrête la voiture dans un lieu complètement désert, au beau milieu de nullepart. Nous sortons tous les trois du véhicule, et j'étire mes bras de chaque côté de mon corps, profitant de cet espace. J'ai envie de m'égarer, d'abandonner la voiture et de me perdre dans ce désert. Et si je me fie au regard qu'Emily pose sur le chemin de randonnée qui s'offre à nous, je ne suis pas le seul.

"– À mon sens, c'est l'endroit idéal pour un concert. Aucun bruit parasite dans le coin… Pas même les grondements de Jake."

Je ris à la remarque d'Emily.

"- Ne dis pas ça, je vais être encore plus stressé que lors des répétitions", je plaisante.
"- Stressé, toi ?" me taquine Jeff. "Je croyais que tu te levais chaque matin, prêt à faire face à un stade tout entier ? Ce n'est pas ce qu'ils disent, dans les magazines ?"
"- C'était une blague d'Helena, et ça remonte à il y a presque cinq ans !" je proteste. "Ce n'est pas de ma faute si ça a été pris au sérieux."

Je n'ai pas envie de penser à mon ex, à un stade ou une salle de concert pleine de fans qui hurlent lorsque je monte sur scène.

Je veux profiter de l'instant, ici, dans ce désert.

Je m'avance vers Emily et l'embrasse doucement.

"- Un concert privé, du coup ?" je souffle contre ses lèvres. "Tu veux que je demande à Jeff de partir pour qu'on soit un peu seuls, tous les deux ?"
"- Hey ! J'ai entendu !" proteste Jeff.

Je ris, et me détache d'Emily pour aller chercher ma guitare dans le coffre.

Nous nous installons tous les trois assis sur des rochers, dans le dilence du désert.
Mon carnet est ouvert juste devant moi, et je le cale avec une pierre pour éviter que les pages bougent.

Ma guitare est accordée. Je ferme les yeux, et me replonge dans l'atmosphère si particulière de Castine. Là oú tout a commencé.

La première chanson n'est autre que celle que j'ai chanté la veille. Et si ma voix est au début rauque, je prends vite confiance.
J'enchaîne les chansons. Moins d'une dizaine, pour le moment. Assez pour faire un album. Et leur nombre s'allongera sans doute si Emily continue de me fixer ainsi.

Dans mes textes, il est question de ces sentiments qui nous prennent sans crier gare, de la peur de tomber à nouveau amoureux, et du délice de premiers baisers. Je parle du vent qui souffle sur la côte, des vagues qui lavent les plages, du reflet d'un coucher de soleil dans les yeux d'une femme. Et puis il y a cette liberté incertaine, qui va avec le fait de se perdre, et d'apprendre à lâcher prise, après des années d'enfermement.
J'ai également voulu retranscrire les couleurs des tableaux d'Emily, qui ont elles aussi peint le début de notre histoire, dans un tourbillon qui n'a toujours pas totalement séché, et auquel nous continuons d'ajouter de nouvelles couleurs.

Je me perd dans le regard d'Emily, dans ce rythme que Jeff improvise en tapant contre la pierre sur laquelle il est installé, mais aussi dans la contemplation de la nature autour de nous.

Je n'ai plus envie de partir d'ici.

Je termine la dernière chanson par une improvisation à la guitare. Pas au niveau de ce que Frank est capable de produire. Mais je me sens inspiré par le désert, cette sensation de liberté.

Je me tais enfin, et je ferme les yeux. C'est bien la première fois que je me livre ainsi de cette manière.